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à souffler du nord-ouest et du nord. La chaleur était accablante ; les nuits même étaient sans fraîcheur. Sous un ciel d’une sérénité inaltérable, on respirait je ne sais quel air orageux qui semblait passer sur Macao comme un courant électrique. Tout annonçait l’approche d’une crise violente dans l’atmosphère. Le 12 septembre, je m’étais rendu à terre pour arrêter les dernières dispositions qui devaient précéder l’entrée de la corvette dans le port, baigné de sueur et haletant sous une température de 33 degrés, j’essayais de rédiger quelques ordres, quand notre intelligent fournisseur entra dans la chambre où je m’étais réfugié. Je crus lire sur son front soucieux comme un avis secret qu’il n’osait pas formuler encore. « Eh bien ! Ayo, lui dis-je, que présage cette affreuse chaleur ? Est-ce un typhon ou tout simplement un orage ? — Who can say ? répondit le prudent Chinois : perhaps a tyfoon, perhaps not. – Very hot indeed ! A trois heures de l’après-midi, j’étais de retour à bord. Le baromètre commençait à baisser. La nuit vint, et l’apparence du ciel fut loin de confirmer ce fâcheux pronostic. Les milliers de points d’or attachés à la voûte du firmament n’avaient jamais brillé d’une clarté plus vive et plus pure. Vers une heure du matin cependant, la brise, qui avait lentement tourné au nord-nord-ouest, parut un peu fraîchir, et quelques rafales qu’on eût prises pour l’écho d’un lointain mugissement arrivèrent jusqu’à nous. Les premiers rayons du jour éclairèrent à peine la baie de Macao, qu’un changement subit se produisit dans l’atmosphère. Le ciel se marbra de plaques épaisses et noires qui ne tardèrent point à s’unir et à former au-dessus de nos têtes un opaque rideau de brume. La température, malgré ce voile impénétrable aux rayons du soleil, n’en demeura pas moins étouffante. Les signes précurseurs de la tempête se multiplièrent ainsi pendant tout le cours de la journée. Ce furent d’abord les eaux qui se gonflèrent d’une façon inaccoutumée et atteignirent dans le port un niveau qu’on ne les avait jamais vues atteindre ; puis, vers deux heures de l’après-midi, de grosses lames venant de l’est annoncèrent que l’ouragan régnait déjà au large. Ces lames s’élevaient soudainement sans qu’on put en suivre la trace à l’horizon ; elles se gonflaient comme le dos d’un sillon, et s’affaissaient tout à coup sur elles-mêmes. Au bout de deux ou trois minutes, on voyait reparaître des lames semblables. La brise avait, comme la mer, ses intermittences : à quelques instans de calme plat succédaient des bouffées de vent qui expiraient brusquement, comme si une main invisible les eût étouffées. Des nuées de sauterelles couvraient les rues et la plage de Macao. À ces signes, les Chinois ne pouvaient méconnaître l’approche d’un typhon. Aussi de tous côtés les lorchas, les fast boats, s’empressaient-ils devenir chercher un abri dans le port intérieur. Les tankas allaient s’échouer sur