Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/517

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans escorte ; d’autres personnes lui avaient rapporté, comme un bruit généralement répandu, que des assassins devaient s’attachera ses pas et l’assaillir près de la barrière. Les Européens qu’un long séjour sur les côtes du Céleste Empire avaient initiés aux mœurs et aux coutumes chinoises engageaient vivement Amaral à ne point mépriser ces avis menaçans ; mais ils n’obtenaient pour réponse qu’un dédaigneux sourire. Amaral était trop indifférent au danger pour s’entourer de précautions qui eussent dénoncé une inquiétude secrète. Il sentait que la population tout entière avait les yeux sur lui, et que s’il semblait fléchir un instant, c’en était fait de son œuvre. Il n’avait donc rien voulu changer à ses habitudes : tous les soirs il sortait à cheval, accompagné d’un seul officier, sans autres armes qu’une paire de pistolets cachés dans les fontes de sa selle. Le 22 août, à l’heure où les habitans de Macao vont chercher dans les plaisirs d’une courte promenade la seule distraction permise à leur existence monotone, quelques minutes avant le coucher du soleil, Amaral, qui s’était avancé jusqu’à la barrière, revenait avec son aide de camp vers l’enceinte intérieure de la ville portugaise. Une troupe de Chinois se présente tout à coup sur son passage ; un enfant, qui portait à la main un long bambou à l’extrémité duquel paraissait fixé un bouquet, se détache de ce groupe et s’approche du gouverneur. Amaral croit que cet enfant veut lui présenter une requête : il se baisse, mais se sent à l’instant frappé violemment au visage. Maroto (misérable) ! s’écrie-t-il, et poussant, son cheval il veut châtier l’insolent qui s’enfuit. Six hommes se précipitent à sa rencontre, deux autres attaquent son aide de camp. Les assassins ont tiré de dessous leurs vêtemens ces sabres à lame droite et mal affilée dont se servent les Chinois : ils en portent au gouverneur plusieurs coups sur le bras gauche, le seul bras qui restât à l’héroïque manchot. La bride de son cheval entre les dents, Amaral faisait de vains efforts pour saisir un de ses pistolets. Assailli de tous côtés, déjà couvert de blessures dont aucune cependant n’était encore mortelle, il tombe enfin à terre ; les meurtriers se jettent sur leur victime et lui arrachent plutôt qu’ils ne lui coupent la tête, ajoutant à ce hideux trophée la main du gouverneur qu’ils parviennent à séparer de l’avant-bras ; ils prennent alors la fuite et s’échappent à travers la campagne, sans que les soldats chinois qui veillent à la porte de la barrière essaient de les arrêter. Pendant ce temps, le cheval du gouverneur galopait effrayé vers la ville : les premiers promeneurs qui le rencontrent ne prévoient encore qu’un accident sans gravité, ils se hâtent pourtant ; mais bientôt ils voient accourir à eux l’aide de camp d’Amaral qui avait été désarçonné dès le premier assaut, et qui n’avait heureusement reçu que de légères blessures. Ils n’ont pas besoin de l’interroger : ses vêtemens en désordre, sa physionomie bouleversée où se peignent