Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/516

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une portion du territoire portugais avait été envahie depuis près d’un demi-siècle par des tombeaux chinois. Ce terrain fut légèrement entamé par le tracé d’une nouvelle route que le gouverneur avait entrepris de construire. Bien que les parens des morts dont on troublait ainsi le dernier asile eussent été largement indemnisés, bien qu’on leur eût laissé toutes facilités pour la translation des restes de leurs ancêtres, cette violation des tombes fut un prétexte que les Chinois saisirent avidement pour en faire un grief décisif contre l’homme dont leurs rancunes avaient juré la perte. Aucun symptôme extérieur ne vint cependant trahir la sourde irritation de la populace chinoise jusqu’au jour où les Anglais, par leurs bravades et leur modération également inopportunes, eurent, au mois d’avril 1849, rendu à cette race humiliée son orgueil et le courage de sa haine ; mais alors on vit paraître sur les murs de Canton des placards qui osaient mettre à prix la tête du gouverneur Amaral. Le vice-roi, s’il n’autorisa pas ces proclamations, ne se hâta point de les faire disparaître. Le successeur de Ki-ing était depuis longtemps suspect aux Européens, et ce fut à ses suggestions qu’on attribua l’émigration générale qui ne tarda point à se produire parmi les Chinois de Macao. Cette ville se trouva, comme aux temps du règne des mandarins, subitement frappée d’interdit. Amaral ne s’émut point de cette désertion ; il se contenta de prononcer la confiscation des biens de tout Chinois qui prolongerait son absence au-delà du terme qu’il prit soin de fixer. Les fugitifs n’attendirent point l’expiration de ce délai de figueur pour rentrer sur le territoire portugais. Jamais l’énergie d’un seul homme n’avait triomphé de plus d’obstacles. Sans soldats, sans finances, sans avoir même la puissance d’un droit, bien établi, Amaral suppléait à tout par la décision de son caractère. Les personnes qui critiquaient le plus amèrement ses mesures ne pouvaient s’empêcher d’admirer la vigueur intelligente qu’il déployait pour les faire réussir.

Un incident regrettable vint, au mois de juin 1849, compliquer une situation assez grave déjà par elle-même. Pour délivrer un de ses compatriotes détenu depuis quelques heures dans les prisons de Macao, le capitaine d’une frégate anglaise ne craignit point de violer par une irruption armée le territoire portugais et d’infliger à un brave officier, absent au moment de cette invasion, le plus cruel et le plus inutile outrage. Amaral ressentit vivement cette humiliation ; pour la première fois on le vit manifester quelque abattement. « J’ai perdu, disait-il souvent à ses amis, le prestige qui faisait ma force ; les Chinois n’auront plus peur de moi. » Il savait que les placards affichés sur les murs de Canton promettaient cinq mille piastres à celui qui rapporterait sa tête. Un domestique chinois attaché à son service ne cessait de lui représenter le danger auquel il s’exposait en sortant