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épineuse, quand tout à coup le sol s’enfonça sous ses pieds. Son compagnon accourt ; arrivé sur le bord de l’abîme où M. Thivet vient de disparaître, son premier mouvement est de reculer d’horreur. C’est dans une fosse à tigres, de plus de vingt pieds de profondeur, qu’est tombé le malheureux missionnaire. Au fond de ce gouffre, son ami l’aperçoit gisant et le corps traversé par un épieu de palmier sauvage. Des secours arrivent. On se procure une corde, on descend jusqu’auprès du blessé, mais c’est en vain qu’on essaie de l’arracher à l’épouvantable supplice qu’il endure. Il faut scier lentement l’épieu à quelques pouces de terre. M. Thivet est transporté avec le bois qui l’a percé à Poulo-penang, où il expire au milieu de la nuit, toujours calme et résigné malgré d’atroces souffrances, la prière sur les lèvres, l’espérance dans le cœur, et souriant à cette mort imprévue comme il eut souri au martyre.

Les Chinois qui se dévouent au rude métier de défricheurs viennent presque tous du Fo-kien, et l’on sait que cette province renferme la population la plus virile du Céleste Empire. Ils trouvent d’ailleurs de puissans encouragemens dans les mesures libérales adoptées par la compagnie des Indes. Pendant les deux premières années, le trésor colonial ne prélève aucune taxe sur les champs défrichés. Il n’exige qu’un impôt presque insignifiant pendant les vingt années qui suivent. C’est ainsi que s’est acclimatée sur le territoire anglais la culture de la muscade, de la canne à sucre, du poivre, etc. L’émigration chinoise, sans cesse renouvelée, ne joue encore qu’un rôle secondaire dans les îles de la Malaisie ; mais on ne peut s’empêcher de pressentir le rôle important qu’elle est appelée à y jouer tôt ou tard. Que la barrière qui a jusqu’ici contenu dans des limites, devenues trop étroites, les habitans du territoire céleste, s’écroule enfin sous les assauts réitérés de l’Europe, et vous verrez, comme un torrent qui a rompu ses digues, toute cette population nécessiteuse se déverser sur l’archipel dont elle connaît déjà le chemin. On ose à peine mesurer les conséquences d’un événement qui ferait sortir l’empire chinois de son apathie. C’est une eau stagnante qui dort depuis des siècles. Le jour où elle s’écoulerait vers l’Occident, elle serait encore capable, comme au temps des Barbares, de couvrir la face du monde.

Ce que les lois de Confucius ont fait pour la Chine, les préceptes des brabmes l’ont fait pour l’Hindoustan. Lu préjugé religieux enchaîne les habitans du Bengale sur les bords du Gange. Les Hindous que l’on rencontre à Singapore sont nés presque tous sur la côte de Malabar. Ils ont leur industrie que nul ne songe à leur disputer. Ce sont eux qui courent en avant du palanquin, étroite et longue voiture au brancard de laquelle on attelle d’ordinaire un petit cheval persan. Ils conduisent à la main le poney qui galope, moins noir