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conscience, je dirai que ce qui absout Lanfranc à mes yeux, c’est qu’il y avait de grandes choses à faire dans l’église d’Angleterre : il y avait à réformer le clergé saxon, dès longtemps corrompu par l’ignorance, la débauche et la simonie, tellement étranger à toute culture libérale, qu’un chapelain du roi, par exemple, nommé Herfast, qui devint bientôt évêque de Thetford, étant venu au Bec, Lanfranc lui donna un abécédaire à épeler ; il y avait donc à faire renaître les études, à relever les bâtimens religieux incendiés par la conquête, à reconstruire les monastères et les hôpitaux, à faire rentrer dans les mains du clergé les propriétés ravies, à convoquer des conciles pour procurer le retour de la discipline ecclésiastique et des bonnes mœurs. Voilà la tâche, rude et glorieuse que s’imposa Lanfranc, et il y réussit en servant avec zèle et modérant avec prudence un roi qui savait l’écouter.

Le fils de Guillaume le Conquérant n’eut de son père que les défauts. Il était despote, mais sans esprit de suite et sans grands desseins ; ses emportemens étaient aveugles, ses violences pleines de caprices, ses cruautés inutiles. La passion qui le dominait, c’était une rapacité insatiable, qui n’avait pas même l’excuse d’être raisonnée, car il y joignait une prodigalité ruineuse. Il prenait de toutes les mains, laissait prendre et donnait sans choix. Le règne de son père avait été une conquête, le sien fut un brigandage. On conçoit que l’église, étant à la fois très riche et sans défense, fût sa proie de prédilection. Les terres d’un couvent étaient-elles à sa convenance ? il chassait les religieux et confisquait leurs biens à son profit. Une église venait-elle à perdre son pasteur ? il en prolongeait indéfiniment la vacance pour s’en attribuer les revenus pendant tout l’intervalle. D’autres fois, il se contentait de mettre des taxes sur les moines, quand il épargnait leurs terres, ou bien il en transportait la propriété à d’autres moines qui payaient mieux. Il faut entendre les gémissemens de ces pauvres religieux : « Je demande la liberté, dit Guillaume de Malmesbury, avec la permission de la majesté royale, de ne pas dissimuler la vérité ; il craignait Dieu fort peu, les hommes pas du tout. »

Quand le siège de Cantorbéry vint à vaquer par la mort de Lanfranc, le roi, suivant sa coutume, ne se pressa pas d’y pourvoir, l’archevêché étant immensément riche. Quatre ans s’écoulèrent ainsi, avec un tel dommage pour le gouvernement de l’église, pour le bien des pauvres et même pour l’intérêt de l’état, que la cour plénière des prélats et des seigneurs, tenue à Glocester aux fêtes de Noël, prit un parti étrange et qui caractérise l’époque, ce fut d’aller en corps supplier le roi de permettre que par tout le royaume on dit des prières pour obtenir son changement de résolution. Guillaume y consentit en