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hardiesse, une élévation et une subtilité ingénieuse qui rappellent saint Augustin et font pressentir Malebranche et Fénelon. Nous citerons les plus célèbres : le Monologium et le Proslogium. Anselme leur avait d’abord donné des titres bien remarquables et qui en expriment parfaitement le caractère. Il appelait le premier : Exemple de méditation touchant la raison de la foi ; le second portait ce titre : la Foi cherchant l’Intelligence. C’est en effet le cachet original de la méthode théologique de saint Anselme de ne jamais séparer la foi de la raison, et quoi de plus extraordinaire en vérité que ce moine du XIe siècle qui ferme les saintes Écritures, écarte les pères de l’église, s’isole de la tradition, et enseveli dans sa cellule du Bec, un peu comme Descartes dans son poële en Allemagne, cherche Dieu par la seule raison, s’enfonce dans les mystères les plus redoutables du christianisme, et construit sur un plan hardi et grandiose ce que M. de Rémusat appelle fort bien une démonstration à priori de la sainte Trinité !

Cette entreprise est l’objet du Monologium ; elle conduisit Anselme à un ouvrage plus original encore. Il conçut le dessein de ramener à une seule et même idée fondamentale tout ce qu’on croit et tout ce qu’on enseigne touchant l’existence et la nature de Dieu. Voilà le germe de cet argument fameux du Proslogium, que Descartes crut inventer six siècles plus tard, qui parut à Leibnitz susceptible d’une rigueur géométrique, et dont la destinée, après Kant et M. Hegel, n’est peut-être pas encore épuisée. Il faut lire dans M. de Rémusat le récit animé autant que fidèle des perplexités d’Anselme. On se croit transporté un instant dans cette antique abbaye où habitait, sous le froc d’un moine, le génie d’un grand métaphysicien : « Ce fut d’abord comme une pensée unique qui l’obsédait à toute heure. Il en perdait le manger, le boire, le sommeil, et, ce qui l’affligeait le plus, il se sentait préoccupé et troublé jusque dans le service de Dieu. Il ne pouvait dire matines attentivement. Inquiet et scrupuleux, mécontent d’ailleurs de n’avoir pas encore réussi à embrasser son sujet tout entier, il finit par craindre que son idée ne fût une tentation du démon. Il s’efforça de la repousser ; mais plus il y travaillait, plus elle revenait l’assaillir. Voilà enfin qu’une certaine nuit, aux prières de vigiles, la lumière se fit dans son esprit : tout lui apparut avec clarté ; son cœur se remplit d’une immense joie. Il crut reconnaître un coup de la grâce, et dans le premier feu de sa découverte il écrivit le fond de son argumentation sur des tablettes de cire qu’il confia aux soins d’un moine. Quelques jours après, il les redemande ; on les cherche, on ne les retrouve pas. Aucun frère ne sait ce qu’elles sont devenues. Anselme se hâte de réparer sa perte, et trace une nouvelle rédaction des mêmes pensées qu’il recommande au même dépositaire. Celui-ci les cache, dans le coin le