Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intarissable besoin d’aimer associé à un esprit de candeur et de pureté répandu dans toute sa personne et qui lui donnait un charme et une autorité irrésistibles.

On très jeune moine, nommé Osberne, plein d’esprit et de malice, haïssait Anselme et le poursuivait des sarcasmes les plus amers. Anselme entreprit de le ramener. Il loue ses talens, excuse ses légèretés, obtient pour lui toutes les faveurs désirées, et, à force d’indulgence, parvient à s’en faire aimer. Alors il change de conduite, devient exigeant, impérieux, sévère, et pousse même la rigueur envers son disciple jusqu’à le châtier par des verges. Le jeune moine supporte tout d’un maître qu’il avait appris à chérir. Devenu le plus docile, le plus humble et le plus doux des religieux, il développait sous l’œil attentif d’Anselme la plus heureuse nature, quand une maladie mortelle vint le frapper. « On vit alors ce sévère maître auprès du lit du jeune frère lui prodiguer de tendres soins, le réchauffer dans ses bras, lui verser les breuvages nécessaires, le soutenir par des paroles douces et fortifiantes ; mais ce fut en vain, et, voyant le terme approcher, dans sa paternelle inquiétude il le pria de venir lui révéler, s’il était possible, après cette vie, quel était son destin. L’enfant le promit et mourut. Aussitôt son corps est lavé, enveloppé, mis au cercueil, porté à l’église ; les moines, rangés à l’entour, chantent des psaumes pour son âme. Anselme, afin de prier plus librement, se cache dans la partie la plus retirée du temple. Là, accablé de tristesse, il sent bientôt s’appesantir ses yeux humides de larmes et s’endort. Dans son sommeil, il voit trois personnes d’un visage auguste, couvertes d’habits éclatans de blancheur, entrer dans la demeure d’Osberne et s’asseoir en cercle pour le juger ; mais dès que l’arrêt est rendu, Osberne se ranime, pâle encore, semblable à un homme qui se relèverait d’un évanouissement. — Eh bien ! mon fils, qu’y a-t-il ? — L’antique serpent, répond-il, s’est trois fois dressé contre moi, trois fois il est retombé sur lui-même, et un des gardes du seigneur Dieu m’en a délivré. — À ces mots, Anselme s’éveilla. Édifié et consolé, il fit vœu de célébrer chaque jour la messe pour le repos de l’âme du jeune frère, et toute sa vie il accomplit son vœu. »

Aucun autre de ses disciples ne put remplacer Osberne dans son cœur, mais sa bonté s’étendait sur tous. Il causait un jour avec un autre chef d’abbaye de la difficulté de discipliner les enfans : « Ils sont pervers et incorrigibles, disait l’abbé ; cependant nous ne cessons de les battre jour et nuit, et ils deviennent toujours pires. — Vous ne cessez de les battre ! dit Anselme. Et quand ils sont adultes, que deviennent-ils ? — Hébétés et brutes, répondit l’abbé. — Que diriez-vous, reprit Anselme, si, ayant planté dans votre jardin un arbre, vous le comprimiez ensuite de manière à l’empêcher de déployer