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ainsi du même coup les traditions du pacte de famille et l’intérêt de la cause constitutionnelle en Europe. Pendant que l’Espagne unissait avec joie ses destinées aux nôtres, et qu’elle engageait avec le gouvernement anglais un conflit qui devait aller bientôt jusqu’au renvoi de son ambassadeur, Pie IX faisait descendre sur l’Italie et sur le monde, des bailleurs du Vatican, des paroles de liberté. De Naples à Turin, les peuples saluaient la régénération prochaine de l’Italie, et, confinée dans ses places fortes, l’Autriche recourait à la France pour contenir la révolution, dont on la tenait alors pour la seule modératrice. En 1847, une tribune s’élevait déjà même à Berlin, et l’Allemagne méridionale pratiquait presque tout entière, avec une sincérité de plus en plus complète, le mode de gouvernement dont la France avait le patronage incontesté. Avant le cataclysme de février, le triomphe des idées constitutionnelles, par la seule puissance de l’esprit public européen, était moralement consommé des bords du Tage à ceux de l’Oder ; l’influence française avait supplanté l’influence britannique à Athènes comme à Madrid, et la monarchie de 1830 n’aurait eu qu’à durer pour assister probablement sans guerre et sans secousse à la transformation du monde.

Cette durée, tout semblait alors la lui promettre ; aussi l’escomptait-elle avec une confiance que les événemens du lendemain autorisent peut-être à qualifier d’aveugle, mais que ceux de la veille permettent assurément de considérer comme naturelle. La pensée royale avait pour organes des hommes éminens ; la nation, consultée deux fois, avait constamment grossi les rangs de la majorité parlementaire et restreint chaque fois davantage le nombre déjà si réduit des adversaires de l’établissement de 1830 : bien loin en effet que le gouvernement représentatif ait péri par le conflit des pouvoirs, comme on se plaît parfois à le dire, jamais l’accord ne fut entre eux plus complet qu’au jour de sa chute. Si la chambre fut rarement agitée par de plus ardentes colères, le motif en était plus dans des satisfactions personnelles à conquérir que dans des conquêtes politiques à faire, et la couronne semblait n’avoir jamais été en mesure de satisfaire l’opposition parlementaire à meilleur marché qu’en 1847. Le pays jouissait, dans la plénitude de la liberté et de la paix, d’une prospérité que les agitations de quelques coteries et les cris avinés de quelques banquets ne semblaient pouvoir sérieusement troubler ; 100 millions avaient été consacrés à bastionner Paris contre la république plus que contre l’étranger. Le parti qui, quinze années auparavant, avait pu y livrer des batailles, était réduit, au matin même de son triomphe, à quinze cents héros dont bon nombre entraient secrètement à la préfecture de police par la petite porte. Ces bravi se croyaient moins que personne destinés à y entrer bientôt