Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

excités par une passion. On peut même dire sans paradoxe que ces conditions se rencontrent plutôt en France qu’en Angleterre, car il y a chez nous plus de diversité dans les opinions et dans les croyances et bien plus de choses en question. Seulement il aurait fallu savoir amener ces questions-là dans le parlement, au lieu de réduire le gouvernement représentatif à n’être plus qu’une chasse aux portefeuilles ; il aurait fallu doter la France d’un système électoral qui y fit pénétrer tout ce qui s’agitait, d’idées et d’aspirations légitimes dans le pays, au lieu de la river à des lois qui concentraient toutes les visées des électeurs sur les perceptions, toutes celles des élus sur le conseil d’état, et qui, selon l’expression alors consacrée, tendaient à faire du pouvoir un instrument jouant le même air par des mains différentes. Il s’est usé à la tribune française, à propos des lois de disjonction et de dotation, de la définition de l’attentat, de l’indemnité Pritchard et des incompatibilités, plus de talent qu’il ne s’en est peut-être dépensé pour les plus grandes causes. La monarchie constitutionnelle a rendu la France aussi grande par les luttes de l’esprit que l’empire l’avait faite glorieuse par celles des champs de bataille ; mais cette double gloire n’est-elle pas demeurée également stérile, et l’importance des intérêts répondait-elle bien à celle des efforts ? Les plus illustres hommes d’état ont consacré dix années de leur vie publique à travestir des taupinières en montagnes, à prendre une loupe pour découvrir des griefs, et une massue pour les pourfendre. Cependant il ne manquait pas d’idées à soulever pour lesquelles il eût été fort légitime de se diviser et de se disputer le pouvoir. Dans l’ordre moral, la liberté de l’église et toutes les conséquences de la situation indépendante qu’elle revendiquait si vivement alors, une large et franche conciliation en matière d’enseignement entre les prétentions de l’Université, les intérêts de l’état et les droits de la famille ; dans l’ordre constitutionnel, la réforme du système électoral, la transformation de la chambre haute et sa prépondérance garantie par des attributions nouvelles, enfin la modification profonde d’un état de choses qui, sur le succès d’un discours ou d’une intrigue, permettait au premier venu d’aspirer à tout, sans délai et sans épreuve ; dans les questions d’affaires, la lutte de l’élément local contre les traditions centralistes, l’organisation du crédit sous toutes ses formes, l’établissement d’un vaste système d’émigration coloniale, problème fondamental de l’avenir du monde, — c’étaient là des matières mille fois plus dignes et plus fécondes que celles sur lesquelles se jouèrent presque toujours les parties ministérielles. Peut-être, en exploitant ces idées-là, aurait-on pu, avec de l’habileté et du temps, donner aux coteries parlementaires quelque chose de la consistance des grands partis politiques, et serait-on parvenu