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vouloir pour conserver en Espagne la situation que nous assuraient les relations obligées de chaque jour, et surtout la conformité des habitudes et des croyances. Ecarter de Madrid l’influence austro-russe, qui domina si manifestement l’Espagne après notre intervention de 1823, lutter énergiquement contre celle de l’Angleterre sur le terrain de la liberté modérée, en identifiant par tous les points les intérêts de la Péninsule avec les nôtres, telle fut, telle est encore la politique tracée par la nature à la France dans ce grand pays, dont la possession de l’Algérie lui rend l’étroite alliance bien plus indispensable encore. Au moment même où le gouvernement français faisait échouer la tentative armée des réfugiés sur l’Italie, lorsqu’il était maudit chaque matin comme traître à la cause de la révolution, il préparait donc résolument au-delà des Pyrénées une révolution immense, en y associant, pour la régler, la royauté elle-même, ne répudiant pas plus son rôle d’initiateur pacifique qu’il n’acceptait celui de révolutionnaire qu’on prétendait lui imposer.

Reconnaître Isabelle II impliquait pour un grand pays limitrophe la stricte nécessité de la défendre dans la mesure où les circonstances pourraient le rendre nécessaire, car après l’éclat d’un pareil acte l’infant don Carlos était devenu pour la France non plus un prétendant, mais un ennemi. Le triomphe de ce prince aurait été l’abdication morale de la monarchie de 1830 devant les cours absolutistes, et la reconnaissance d’Isabelle comportait au besoin l’intervention armée en Espagne, comme le refus de permettre la restauration de la maison d’Orange l’avait impliquée en Belgique. Le cabinet du 11 octobre et le roi Louis-Philippe en particulier ne parurent pas embrasser assez nettement et tout d’abord les conséquences du principe si hardiment posé. La politique française fut incertaine dans ses vues, mesquine dans l’exécution, et ne se maintint pas toujours à la hauteur de l’idée grande et simple qui l’avait inspirée. Au lieu d’affirmer son droit en Espagne, comme l’Autriche affirmait le sien en Italie, elle parut parfois reculer devant le péril des moyens, comme si le péril même n’eût pas disparu devant sa volonté hautement confessée. On cacha sous les dehors incertains d’une coopération armée des mesures auxquelles il aurait été moins dangereux d’imprimer le caractère d’une intervention véritable. Les actes constitutifs de la quadruple alliance[1] parurent sortir moins d’un système arrêté que des incidens successivement amenés par la longue lutte engagée en Portugal et en Espagne. On eut parfois l’air de se mettre à la suite des événemens, lorsqu’on s’était engagé à les dominer, et l’on risqua le succès pour ménager des susceptibilités impuissantes : mais on était encore à ce temps des chances heureuses durant lequel les fautes mêmes réussissent. Quoique

  1. Traité du 22 avril 1834, articles additionnels du 18 août.