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sanctuaire de la justice, et les accusés résolurent de rendre désormais tout débat impossible par la continuité de leurs clameurs. Ils espéraient amener les juges à violer en leur personne les garanties que la loi accorde aux accusés ; mais, écartant par sa modération le piège que lui tendaient ses ennemis, la cour se borna à décider qu’en cas de tumulte les accusés pourraient être amenés séparément devant elle, et que, l’acte d’accusation ayant été signifié antérieurement à tous les prévenus, il pourrait être lu en l’absence de ceux qui par leur conduite se seraient fait exclure de l’audience. Autant qu’il était en son pouvoir, elle maintenait ainsi, au profit d’accusés en état flagrant d’insurrection contre la justice, la garantie du débat contradictoire, et, acceptant noblement les lenteurs et les fatigues d’un procès inouï par ses proportions, elle se bornait à défendre son honneur et sa sûreté contre cent vingt furieux, dont la bruyante audace n’était pas même ennoblie par la perspective de l’échafaud. Ce procès d’une année, plus menaçant pour la santé des juges que pour la vie des accusés, prit fin après des épisodes sans exemple, au milieu des applaudissemens qu’une opposition imbécile prodiguait dans l’autre chambre à des hommes pleins pour elle d’un profond dédain. La cour prononça des condamnations qu’adoucit pour la plupart des détenus la bienveillance du pouvoir, et deux années ne s’étaient pas encore écoulées, que celui-ci ouvrait sans conditions la porte de toutes les prisons politiques aux hommes qui, après l’avoir attaqué les armes à la main, avaient si longtemps insulté à sa modération et indignement calomnié sa justice[1].

Je ne rappelle pas ces faits pour le stérile plaisir de susciter des rapprochemens, et démontrer, par exemple, les noms les plus éclatans du monstrueux procès d’avril inscrits aux tables de proscription de juin 1848. Les crises que nous traversons depuis février ont pu contraindre à voiler la statue de la loi, et il a été honorable pour tout le monde de reconnaître cette nécessité et de ne pas reculer devant elle ; mais qu’on me permette de me reporter avec quelque orgueil pour mon pays vers un temps où les mêmes périls n’imposaient point les mêmes sacrifices, où la société put être sauvée par les lois, l’ordre rétabli et maintenu sans qu’il en coûtât rien à la liberté. Ce respect du droit, au sein des difficultés mêmes qu’il suscite, est le plus éclatant caractère du gouvernement que je m’efforce d’apprécier dans sa grandeur comme dans ses faiblesses. Si la monarchie de 1830 embrassa des horizons bornés, si, dans l’ordre des intérêts moraux, elle subit trop souvent l’empire des hommes qui, comme condition de leur appui, lui imposaient le ménagement de leurs mauvaises passions, elle eut l’honneur de rester jusqu’à son

  1. Ordonnance d’amnistie de mai 1837, à l’occasion du mariage du duc d’Orléans.