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plus menaçant que jamais au commencement de 1834. Les diverses sociétés démagogiques constituaient à la fois un gouvernement et une armée : publiques quant à leur personnel, elles restaient secrètes quant à leur direction ; elles participaient de la maçonnerie et du journalisme, agissant à la fois par la parole et par le silence. La Société des droits de l’homme seule enlaçait Paris dans un réseau de cent soixante-trois sections. Le Comité invisible, la Société du progrès, le Mutuellisme, préparaient à Lyon un mouvement qui, dégagé cette fois de toutes les questions agitées en 1831 entre les ouvriers et les fabricans, allait avoir une couleur exclusivement politique. Une portion de l’armée, lassée de l’oisiveté des garnisons et déçue des espérances belliqueuses qu’avait enfantées la crise de 1830, passait pour sympathiser avec un parti qui du plus léger succès aurait été en mesure de faire sortir une victoire. Affaibli dans l’opinion, il fallait que le pouvoir, pour retrouver sa force, prit l’initiative de l’attaque, et qu’en restant dans ce cercle de la légalité constitutionnelle, dont son intérêt comme son honneur lui prescrivait de ne jamais sortir, il y resserrât plus étroitement les factions, revenues à l’espérance et à l’audace. Ce fut l’œuvre de la loi sur les associations, qui appliqua les dispositions de l’article 291 du code pénal aux sections de moins de vingt personnes et qui du jury transporta la répression aux tribunaux correctionnels. « Les ministres n’avaient certainement pas tort de montrer dans la Société des droits de l’homme une armée qui, secouant la guerre sur la nation, pouvait d’un instant à l’autre changer pour la France le cours apparent de la destinée. Sans la loi contre les associations, non telle que l’entendait l’opposition dynastique, mais telle que le gouvernement la demandait, c’en était fait de la monarchie constitutionnelle, rien de plus certain, et ceux qui en doutaient ne savaient pas combien il y aurait eu dans la démocratie organisée de puissance et de vigueur. Oui, M. Thiers avait raison de dire : « Tout cet arbitraire, il nous le faut, ou nous sommes perdus. » - Mais quel régime que celui qui pour se maintenir avait besoin de telles ressources[1] ! »

Le publiciste auquel nous empruntons ces décisives paroles n’ayant pas jusqu’à ce jour formulé de système social où la répression légale soit inutile, et mettant d’ailleurs à chaque page l’énergie de la convention en regard des timidités constitutionnelles, on peut négliger la réserve pour ne tenir compte que de l’aveu. La présentation de la loi sur les associations fut donc une œuvre de salut pour l’ordre monarchique en France, rien de plus certain. Cette loi eut le résultat, prévu et devenu nécessaire, de provoquer les sociétés populaires

  1. Histoire de dix ans, par M. Louis Blanc, tome IV, ch. IV.