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étaient-ils plus enthousiastes, plus dévoués à leurs chimères, plus disposés surtout à verser leur sang pour elles ; mais celles-ci se résumaient alors dans la résurrection des nationalités opprimées, la substitution des formes républicaines au gouvernement monarchique, et la rupture à coups de canon des traités qui régissent l’état territorial et politique de l’Europe. On n’avait pas encore inventé ces grasses utopies et ces théories du doux vivre dans la poursuite desquelles les apôtres de la seconde période révolutionnaire, assez oublieux de la diplomatie et de la guerre, ont épuisé leur ardeur et dévoré leur règne d’un moment. Le ministère du 11 octobre avait en face de lui non des économistes comme ceux de février, mais des soldats tout prêts à faire de leurs écrits de la bourre pour leurs carabines, — non des clubistes, mais des gens d’action jouant avec une héroïque audace une vie qu’ils méprisaient comme hommes et dont ils ignoraient malheureusement le prix devant Dieu. L’état-major du parti républicain était alors brillant de jeunesse et de courage, et dans ces âmes ardentes poursuivies par ce vague besoin du sacrifice qui est l’honneur de la nature humaine, la foi politique tenait lieu de la foi religieuse absente.

Cependant ce petit nombre d’hommes d’élite rencontrait plus d’obstacles encore dans le personnel de leur propre parti que dans l’incohérence de leurs idées. À la république allaient de droit, avec les partisans de la guerre, tous ceux dont les traditions terroristes avaient dépravé le cœur et faussé l’esprit. Cette grande conjuration contre l’ordre social existant avait d’ailleurs et nécessairement pour complice cette « populace excitée par la curiosité des choses nouvelles » dont parle l’historien de Catilina, « tous ceux qui, n’ayant rien, portent envie à ceux qui possèdent, qui, mécontens de leur sort, aspirent à tout renverser et trouvent à vivre sans souci dans la guerre civile. » Elle était appuyée par ces hommes dont l’âme est toujours accessible aux troubles et aux séditions, « parce que, dans les grands bouleversemens, où ils ont tout à gagner, leur pauvreté les garantit d’avance contre toute chance de perlt. » Paris enfin n’était-il pas aussi cette sentine romaine où tous les audacieux et tous les coupables fuyant leurs foyers paternels viennent se réfugier comme dans le réceptacle des impuretés de toute la terre ?

Le parti républicain, qui n’avait dominé Paris que par surprise, lors des journées de juillet, n’avait pas cessé de grossir ses rangs depuis cette époque. Casimir Périer l’avait plutôt étourdi que brisé par la violence de ses coups ; ce ministre avait travaillé à arracher la monarchie de 1830 à l’influence de l’opinion républicaine plus encore qu’à anéantir celle-ci. Grossi par toutes les rancunes et par toutes les déceptions, le parti de la république se retrouvait donc