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placé, par l’effet de son institution, en dehors de la sphère politique proprement dite ? Qui n’a pas été frappé, durant dix-huit années, du vice organique qui enlevait à ce grand corps jusqu’à l’autorité individuelle dont la plupart de ses membres étaient pourvus avant leur admission à la plus éminente dignité de l’état ? A-t-on vu, pendant la durée de la monarchie de 1830, la chambre des pairs donner autre chose qu’un vote fictif à la loi la plus importante de chaque session, la loi de finances ? A-t-elle jamais été un obstacle même pour les cabinets qu’elle tenait le plus en suspicion, ou bien une force pour ceux auxquels la rattachaient ses sympathies ? Quel homme un peu considérable de l’opposition aurait consenti à se laisser déporter dans la chambre inamovible, et dans les hautes régions de l’ambition parlementaire ne déclinait-on pas constamment les honneurs de cette pacifique retraite, que la couronne ne pouvait même songer à proposer à un chef de parti ? Malgré le texte et l’esprit de la constitution, la chambre des pairs n’était donc pas un pouvoir politique ; on avait placé en permanence la fièvre au Palais-Bourbon, l’atonie au Luxembourg, et la prévoyance du législateur avait rejeté la plupart des illustrations du royaume hors de la sphère où s’agitaient les questions les plus brûlantes, où se dispensaient les portefeuilles.

Ainsi l’on ajoutait gratuitement aux périls de la situation générale tous ceux que pouvaient créer à la société des lois imprévoyantes. On s’effrayait de la lutte ardente des ambitions, et on les renfermait dans une seule enceinte, sans rien faire, sans rien essayer même pour les diviser. On s’inquiétait de vivre dans une société où tout était hâtif et déréglé ; lorsqu’il aurait été possible d’hiérarchiser la vie publique en donnant à la chambre haute une part prépondérante dans le pouvoir et en allant y chercher les principaux agens de la couronne, lorsqu’un mode d’élection d’un ordre supérieur aurait pu conduire la pairie à contrebalancer l’ascendant de l’autre assemblée, on l’annulait par une combinaison dont le résultat infaillible était de constituer l’antagonisme de la royauté et d’une chambre omnipotente ! La direction absolue des affaires passait à des hommes jeunes, ardens, pressés, et l’on donnait pour contrepoids à la couronne le droit étrange de frapper de mort politique ses serviteurs éprouvés, en les déclarant pairs de France !

Ce n’était point de l’hérédité qu’il aurait été possible d’attendre, après 1830, la reconstitution de la pairie, et je n’ai jamais compris que des esprits éminens aient tenté à cette époque de sérieux efforts pour faire prévaloir une telle pensée. Une pairie héréditaire n’a guère de vie possible en ce siècle qu’en Angleterre, parce que l’air britannique est tellement imprégné d’aristocratie, qu’il suffit à transformer et à vieillir pour ainsi dire toutes les existences nouvelles.