Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/419

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de France et d’Angleterre aura pu modifier le cours des négociations. Chose étrange : tandis que l’émotion se calmait parmi nous au sujet de cette affaire orientale, elle parait s’être développée en Russie même avec une vivacité extraordinaire. On ne l’ignore pas, la religion a une grande puissance en Russie, et depuis longtemps c’est la politique du vieux parti russe de reconquérir Constantinople, de reprendre possession de Sainte-Sophie. C’est cette vieille ardeur que le récent incident est venu soulever. La mission même du prince Menschikoff était faite pour la susciter et l’entretenir ; l’attitude de l’Europe n’a fait que l’enflammer. L’empereur Nicolas cependant, assure-t-on, au milieu des passions religieuses qui l’entourent et qui sont sa force, envisage cette situation d’un œil plus calme, ce qui ne veut point dire, à coup sûr, qu’il ne se soit posé la question du démembrement de l’empire ottoman et de la part qui devait revenir à la Russie. Au fond, indépendamment de l’intérêt politique qui s’attache toujours à une affaire, de cette nature, ce qui doit le plus frapper dans la mission du prince Menschikoff et dans l’appareil dont elle a été entourée, c’est cette démonstration d’un état puissant vis-à-vis d’un état faible, c’est cette sorte d’acte de suprématie qui semble substituer en quelque façon une question de force à une question de droit. Or c’est là une tendance à laquelle les gouvernemens semblent trop portés parfois à obéir non-seulement dans leur politique extérieure, mais aussi dans leur politique intérieure, surtout dans celle-ci.

Les révolutions de 1848 ont créé en faveur des gouvernemens un mouvement immense de réaction. Après avoir été sur le point de périr dans l’anarchie de ces dernières années, ils se sont relevés plus forts, plus vigoureux et malheureusement aussi plus portés à pousser à l’excès le droit de défense et de préservation. On peut se demander seulement si c’est là toujours le meilleur moyen d’affermir et de recommander l’autorité des gouvernemens, de la mettre à l’abri de réactions nouvelles. N’est-ce point par exemple un acte plus nuisible qu’utile à l’autorité elle-même que le décret de séquestre par lequel l’Autriche a frappé indistinctement tous les émigrés lombards ? Et, qu’on le remarque bien, parmi ces émigrés, beaucoup étaient dans cette situation légalement, avec le consentement de l’Autriche. S’il y avait des conspirations, des trames secrètes, des connivences avec les tentatives révolutionnaires qui ont eu lieu récemment à Milan, l’Autriche a certainement des tribunaux en Lombardie. Elle a des lois sévères ; mais il y a aussi des lois protectrices de la propriété, des lois qui fixent les cas où on peut la perdre et les moyens par lesquels on peut en être dépouillé. Le gouvernement autrichien ne nous semble pas avoir été heureusement inspiré en préférant se mettre au-dessus de ces lois et agir en vertu d’un droit discrétionnaire. Il a poussé même la rigueur jusqu’à annuler, comme entachées de fraude, des hypothèques prises sur les biens des émigrés en 1847 ou au commencement de 1848. Certes l’acte rigoureux de l’Autriche n’eût pas eu moins de gravité, quand même il n’eût atteint qu’un simple individu obscur et ayant une petite fortune ; mais au point de vue politique, il acquiert une importance plus grande encore en frappant les plus grandes familles de la Lombardie. La situation de l’Autriche n’en devient pas assurément plus facile en Italie. Comme on sait du reste, cette affaire du séquestre a été la source d’une complication nouvelle entre le