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J’y couvre sous mes voix discrètes
Les douces plaintes des amans.

La génisse, au bruit de sa cloche,
Conduit vers moi de gais troupeaux.
En chantant, le berger s’approche
Et prend sa flûte à mes roseaux.

C’est moi qui fais tourner la roue
Du meunier conteur et malin.
Ma voix l’accompagne et se joue
Au joyeux tic-tac du moulin.

À vos travaux je m’associe :
Je bats le fer du forgeron ;
Je meus l’infatigable scie
Sous le toit du vieux bûcheron.

À travers le roc et l’argile,
L’eau glisse et creuse incessamment.
C’est moi, sur la terre immobile,
C’est moi qui suis le mouvement.

L’onde vierge à grands flots m’arrive,
Quand l’été ronge le glacier ;
L’écume alors blanchit ma rive
Comme la lèvre du coursier.

Si parfois mon flot déracine
L’épi d’un imprudent sillon,
Le sol que j’ôte à la colline,
Je le restitue au vallon.

L’eau dans son sein, rapide ou lente,
Tient tous les germes en éveil ;
Pour donner la sève à la plante,
Elle se marie au soleil.

La chanson du torrent convie
Chaque être à sortir du repos.
J’appelle au travail, à la vie,
Les fleurs, les hommes, les troupeaux.

Je dis : Suivez mes flots rapides,
Quittez avec moi ce haut lieu ;
Marchez, voyageurs intrépides,
Sur les chemins tracés par Dieu.