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Un large rayon d’or flotte sur les fougères ;
L’alouette s’égaie en ses notes légères ;
La cloche tinte au cou de mes taureaux joyeux,
Et les prés, tout en fleurs, réjouissent mes yeux.

LE POÈTE


La nature se plaint : sa voix, terrible ou tendre,
Parle d’une souffrance à qui sait bien l’entendre.
Tout menace ou gémit. De la source au torrent,
Le flot, qui va gronder, s’écoule en murmurant.
Comme un soupir sans fin qui remplit tout l’espace,
Dans les sapins tremblans le vent passe et repasse,
Et même aux plus beaux jours la voix qui sort des mers
Atteste un mal obscur dans leurs gouffres amers.
Ici, dans cette paix des douces bergeries,
Écoute ces taureaux et ces brebis chéries,
Ton chien, tes blonds ramiers posés sur ces vieux ifs,
Et tes agneaux bêlans… Tous ces bruits sont plaintifs.

LE PATRE


J’entends, je vois partout s’appeler, se poursuivre,
Les animaux joyeux du seul bonheur de vivre.
Tous semblent à tes yeux ou tristes ou méchans,
Jeune homme aux blanches mains, qui crois aimer les champs !
Quel noir démon l’invite à ces pensers moroses,
Enfant ? Et tu n’as vu que la saison des roses !
La neige des hivers où nous marchons pieds nus,
Nos soucis, nos travaux, te sont tous inconnus !

LE POÈTE


Toi, tu ne connais pas la volupté des larmes !
Ces pleurs de la nature en sont pour moi les charmes ;
Vous l’aimez pour les fruits que vous lui dérobez.
Avides laboureurs sur la moisson courbés !
Moi, conduit aux déserts par la haine du monde,
J’y goûte leur douleur, en sagesse féconde.

LE PATRE


J’aime le champ natal et non pas les déserts.
J’ai là, dans ce vallon, j’ai des trésors bien chers :