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Étranger ! et de loin je t’ai vu tout le soir
Marcher sans but, courir ou brusquement t’asseoir,
Frapper ton front, tes mains comme un homme qui souffre,
Et parfois te pencher sur le bord de ce gouffre.
J’accours ; te voilà pâle, immobile, égaré,
Et je vois dans tes yeux qu’ils ont beaucoup pleuré.
Malade ou malheureux, l’un et l’autre peut-être,
Jeune homme, car mon âge a le don de connaître,
Dispose du vieux pâtre en sa rude amitié ;
Le désert et mon Dieu m’enseignent la pitié.
Viens et dors cette nuit sous mon abri de chaume ;
Tout l’été, d’un air pur respire ici le baume.
À bien des affligés conduits sur ces hauteurs,
Il fut bon d’habiter la hutte des pasteurs.
En vigoureux sommeil émané de l’étable,
Le lait et le pain noir de ma rustique table,
Et les belles chansons et la saine gaîté
Rendirent à plus d’un la joie et la santé.
Sur ces sommets, d’ailleurs, un art héréditaire
M’apprit à découvrir chaque herbe salutaire.
Tout mal a son remède au sein de quelque fleur ;
J’en connais pour guérir ta chétive pâleur.
Sois docile au vieillard, viens, et par moi renaisse,
Renaisse dans ton cœur la divine jeunesse !

LE POÈTE


Ton âme hospitalière, ô généreux pasteur,
De la cruche et des bois l’énergique senteur,
Le souffle de tes bœufs, la sève de tes plantes
Seraient un vain remède à mes peines brûlantes.
Mon mal est trop profond ; mais, pour le soulager,
Avec d’autres douleurs je viens le partager.
Je viens mêler mon deuil au deuil de la nature.
J’entends ici l’écho des tourmens que j’endure ;
La voix de l’univers n’est qu’un gémissement ;
Mes pleurs unis aux siens coulent plus doucement,
Et je sens plus île calme et plus de patience
Quand je me plonge à fond dans sa tristesse immense.

LE PATRE


Je cherche autour de nous ces gémissantes voix,
Et ces mornes tableaux, et ce deuil que tu vois :