Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans une littérature où Wilhelm Grimm a pu rendre poétiquement de vieux chants danois, où l’illustre philologue Franz Bopp a donné une traduction en vers d’un épisode du Mahabarata, on comprend que tous les chefs-d’œuvre de l’imagination, de Dante à Shakspeare et de Shakspeare à Byron, aient trouvé d’ingénieux interprètes, il y a une quarantaine d’années surtout, les lettres allemandes s’enrichirent ainsi de travaux du premier ordre. Le Shakspeare de Tieck et de Guillaume de Schlegel, le Tasse et l’Arioste de Gries, le Dante de Kannegiesser, appartiennent à cette époque ; on peut y joindre le Hafiz de M. Joseph de Hammer, et plus récemment le Camoëns de M. Donner. C’est aussi vers ce temps-là que parurent bien des publications célèbres de chants slaves que le pontife de la littérature allemande saluait d’encouragemens si précieux. M Talvy occupe un des premiers rangs de ce groupe par sa belle traduction des poésies nationales des Serbes. Goethe l’appelait avec orgueil ta jeune amie, et il la récompensait de son zèle en terminant ainsi l’article qu’il lui consacre : « La langue allemande deviendra la langue du monde, die deutsche Sprache muss sich nach und nach zur Weltsprache erheben. » Eh bien ! un mouvement tout semblable se produit en ce moment même. Après les poètes qui ont préludé à la rénovation de l’art en étudiant les maîtres du moyen âge, je dois signaler ici comme les ouvriers d’une même œuvre les auteurs de maintes traductions importantes. Un des meilleurs signes assurément du réveil littéraire de l’Allemagne, c’est le retour de cet esprit cosmopolite si empressé naguère d’enrichir le sol natal de tous les trésors de l’étranger.

Les productions littéraires de ces peuples dont la destinée est unie aux destinées de l’Allemagne devaient attirer d’abord l’attention, la Hongrie a un poète populaire, Schaandor (Alexandre) Petœfy, dont la verve belliqueuse et rustique répond admirablement aux émotions du paysan et du soldat magyar. Sa fin mystérieuse a renouvelé l’intérêt que son talent inspire. Aide-de-camp du général Bem, on ne sait pas dans quelle rencontre il est tombé ; le poète populaire a disparu au sein de la tourmente. Deux écrivains habiles, MM. Maurice Hartmann et Szaarvady, viennent de publier une traduction de Schaandor Petœfy. M. Hartmann a déjà fait ses preuves comme poète, et tout à l’heure encore nous le retrouverons au premier rang. Il a reproduit ici avec un rare mélange de délicatesse et de vigueur les strophes amoureuses, fantasques, guerrières, du chantre bien-aimé des Hongrois. Soutenu comme il l’est par un collaborateur éclairé, M. Hartmann nous doit de continuer son œuvre. Petœfy est un homme qui doit sortir des limites de son idiome pour prendre rang dans la Welt-Literatur dont parle Goethe. Une femme d’un talent gracieux, Mme Ida de Düringsfeld, a donné récemment, sous le titre de Roses de Bohême, un recueil de chansons tchèques qui ne manque pas d’intérêt ; il est regrettable seulement que le traducteur n’ait pas fait un choix plus sévère. On a montré de nos jours une singulière indulgence pour la littérature du peuple. Parmi ces chansons que Mme de Düringsfeld assure avoir recueillies de la bouche même des paysans bohémiens, il y en a plus d’une qui ne méritait pas d’être conservée et traduite. La première condition dans ces recherches, c’est une critique vigilante. S’il y a comme une fleur exquise dans certaines traditions populaires, rien de plus désagréable que de rencontrer des inspirations banales là où l’on cherche la grâce incorrecte d’un sentiment