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prolonge le sommeil de la jeune fille ne sera rompu que le jour où un héros, — Siegfried est son nom, — ira la délivrer. Pour opérer ce miracle, il faut que Siegfried remporte de grandes victoires ; le ciel et l’enfer se livreront un combat dans son âme. Si son chaste amour triomphe de toutes les tentations, si sa foi survit à toutes les épreuves, Rosalinde se réveillera pour lui dans la fleur de ses quinze ans. Malheureusement cette conclusion, qui devait donner à l’œuvre entière une portée philosophique, n’a pas aussi bien inspiré le jeune poète que les récits de batailles, le penseur a mal secondé l’artiste. Les tableaux sont confus, les développemens sont faibles. Il fallait que l’idée morale du poème fût accusée en traits lumineux, pour que l’auteur eût le droit de s’écrier, comme il le fait dans un épilogue rempli d’ailleurs d’une cordialité charmante et d’un juvénile enthousiasme : « .Maintes fois le présent se retrouve dans l’image du passé ! A ma belle vallée du Neckar, dont les ruines antiques et le printemps Henri m’ont fourni tant de leçons ; à mes amis, à ma patrie tout entière, j’ose offrir mon salut et mon poème ! Je l’offre aux hommes de mon pays ; je l’offre surtout aux femmes, aux jeunes filles allemandes, à celles qui nous élèvent au-dessus des vulgaires intérêts du siècle et qui nous montrent le ciel ! Ce poème, je l’ai composé avec les joies de mon cœur, avec les souffrances de ma jeunesse, avec les haleines embaumées du printemps. Il chante les triomphes de l’amour et la force invincible de l’âme loyale ! »

N’y a-t-il pas dans ces études sur la vieille poésie nationale quelque chose de jeune et de charmant ? Ce n’est pas ici une école définitive, c’est une transition et une promesse. Pourquoi s’étonner que la poésie allemande, à l’heure où elle tente de nouvelles voies, aime à jeter un regard en arrière ? Une littérature plus mâle viendra plus tard, ce prélude même nous le dit assez. Si ce n’était pas là une inspiration toute naturelle, on ne s’expliquerait pas ce mouvement simultané. Aucun de ces écrivains n’obéit à un mot d’ordre, comme les romantiques du commencement de ce siècle ; aucun d’eux n’a pris le monde moderne en aversion, comme ces brillans illuminés pour qui le moyen âge était le paradis sur terre. Quand ils chantent l’Allemagne des Niebelungen et d’Henri d’Ofterdingen, ils songent à l’Allemagne du XIXe siècle, et veulent exercer sur elle, une salutaire action. Voyez un autre chanteur qui a aussi l’ambition d’être le poète de la jeunesse : M. Otto Roquette vient de faire comme la fantasque épopée du Rhin. Ce ne sont plus des scènes de bataille, c’est la poésie, des heures printanières, ce sont les fleurs de la vallée du Rhin qui chantent leurs folles amours. Connaissez-vous cette boisson chère à l’Allemagne, cette boisson du mois de mai, Maitrank, qui rassemble le soir la famille à l’ombre parfumée des tilleuls ? C’est du vin du Rhin, où la ménagère industrieuse mêle du sucre, des tranches d’oronge et certaines herbes chargées des vivaces parfums du printemps. La principale de ces herbes est une certaine aspérule que la langue allemande appelle poétiquement le Maître de la forêt. Ce maître de la forêt {Waldmeister) est le héros de M. Otto Roquette ; le Voyage de fiançailles de Waldmeister, tel est le titre de son poème. Suivez ces deux promeneurs qui devisent aux bords du Rhin : celui-ci est un professeur de botanique, celui-là est un curé de la ville prochaine. L’un est grave, mais indulgent et toujours prêt à excuser les joies étourdies de la jeunesse ; l’autre est morose et grondeur, il n’aime pas le siècle présent, et les innocens