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devait nous apparaître sous les traits du conquérant et du législateur. Roland, Witikind et Radbot sont à l’étroit dans les romances de M. Gruppe. La chronique ne suffit plus ici ; il fallait que le poème s’agrandit et portât l’armure des héros. Telle qu’elle est pourtant, cette œuvre mérite bien les nombreux suffrages qu’elle a obtenus. Ce n’est pas en vain que M. Gruppe a exprimé avec soin tant de charmans détails et déployé une imagination si allemande. L’auteur de l’Empereur Charles a encore bien des progrès à accomplir ; dès à présent toutefois, ce soin du style, ce vif sentiment de l’élégance sévère, cet art ingénieux avec lequel il découvre et met en relief ce que l’histoire contient de tableaux idylliques, tout cela lui assure une place honorable ; il a rang parmi les artistes.

La poésie allemande du moyen âge n’offre pas seulement de graves modèles aux chanteurs de nos jours ; les légendes s’y épanouissent par milliers. On sait comment l’austère épopée des Niebelungen s’embellit au XIIIe siècle, sous l’influence lointaine des Provençaux, de maints ornemens de détail qui allèrent un peu les origines scandinaves du poème. Voici un écrivain qui a marié ingénieusement l’esprit des contes populaires aux formes solennelles de l’épopée de Siegfried. On voit que M. Jules de Rodenberg (c’est encore un nouveau venu comme M. Gruppe) se rattache aussi au mouvement dont M. Simrock est devenu le chef involontaire ; il a étudié les anciens monumens de l’art national, mais au lieu d’appliquer cette forme à des scènes empruntées de l’histoire, il veut où faire l’ornement des douces légendes qu’il aime. Il y a dans les Kinder und Hausmaerchen des frères Grimm une histoire intitulée la Petite Rose du buisson d’épines (Dornroeschen), qui rappelle en maints endroits notre conte de fées la Belle au bois dormant. Cette histoire s’est transformée, sous la plume de l’écrivain, en un poème héroïque. M. de Rodenberg nous transporte aux premiers siècles du moyen âge ; les personnages des temps barbares se lèvent à son appel, et le naïf récit ressemble à une chanson de gestes. L’intention de l’auteur est évidente ; il a beau conserver le titre de la légende de. Grimm, le souvenir des Niebelungen le préoccupe sans cesse. Le poème est écrit en strophes de quatre vers à rimes plates comme le Niebelungen-Lied. Les premiers chants sont pleins d’une verve belliqueuse ; rien de plus rapide que l’exposition. Le portrait du roi des Allemands, Rodegast, ses combats contre les monstres et les géans, son mariage avec la belle Rosemonde, la naissance de Rosalinde sa fille, la fête splendide où paraissent tous les chevaliers, et la scène des fées qui termine le tableau, tout cela est dramatiquement tracé à larges traits. On dirait que l’auteur s’inspire des maîtres allemands du XIXe siècle, des mâles et gracieux dessins de Schnorr et de Kaulbach. Au second chant, nous voici en Danemark, à la cour du roi Hartmuth. Le terrible Hartmuth, un de ces rois de mer qu’a peints Augustin Thierry, a entendu vanter l’éblouissante beauté de Rosalinde, fille de Rodegast ; il l’aime et la veut en mariage. Si Rodegast la lui refuse, il ira la chercher l’épée à la main. Rosalinde a rejeté l’offre du roi barbare, et voilà la guerre qui éclate. Rodegast est vaincu, Harthmuth va posséder sa proie ; mais c’est à ce moment même que s’accomplit la prédiction de la fée : un sommeil de mort ferme les paupières de Rosalinde. Le troisième chant enfin devait mettre en lumière la pensée cachée sous le symbole. D’après les paroles de la fée, le charme qui