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Tandis que M. Oscar de Redwitz va étudier sous sa direction à l’université de Bonn ces poèmes épiques du moyen âge allemand dont nul ne possède mieux les arcanes, des chanteurs nouveaux qui s’annoncent avec éclat lui empruntent aussi maintes indications fécondes. La poésie lyrique, de Goethe à Henri Heine, avait donné une assez large moisson ; aujourd’hui que l’art des vers, chez nos voisins comme chez nous, est devenu une sorte d’instrument dont il acquiert le doigté sans trop de peine, le goût public semble rejeter d’instinct les banales productions de la littérature intime. Au lieu des esquisses légères, on demande des dessins bien étudiés ; au lieu des strophes et des stances personnelles, on veut des compositions où se découvre un art sérieux. Le récit, en un mot, a succédé à la poésie lyrique. Je suis très frappé de cette transformation, et j’y découvre un symptôme intéressant. Voyons-la d’abord se produire dans les différentes écoles qui se présentent à nous ; nous en dirons ensuite le sens et la portée.

Le groupe des écrivains qui ont demandé des inspirations aux monumens du moyen âge est très bien représenté par deux poètes qui ont essayé, non sans succès, d’enrichir la littérature épique de leur pays. Le premier est M. Gruppe, artiste soigneux et fin, qu’une trilogie poétique intitulée l’Empereur Charles a recommandé tout récemment à la sympathie de l’Allemagne. Il y a une dizaine d’années, si l’ai bonne mémoire, M. Gruppe avait publié, dans un recueil dirigé par M. Charles Simrock, un récit consacré à la légende d’Eginhard et d’Emma. Le poète s’essayait à reproduire les couleurs et la physionomie de ces vieux âges. Il réunit aujourd’hui trois poèmes de ce genre qui forment tout un tableau, un tableau vraiment empreint d’une majesté naïve, et que remplit, en toutes ses parties la solennelle figure de Charlemagne. Le premier de ces poèmes rapporte avec beaucoup de charme l’histoire de la reine Berthe, femme du roi Pépin le Bref. Le second est consacré à Hildegarde. L’héroïne du troisième est la gracieuse Emma. Ce qui distingue les chants de M. Gruppe, c’est le sentiment du récit familier. Il excelle à rendre les naïves peintures et ce que Fénelon appelle si bien l’aimable simplicité du monde naissant. Pour que cette simplicité, au moyen âge ait le caractère vrai qui lui est propre, il faut qu’elle soit relevée par le contraste énergique du cadre où elle se déploie. De même que les mystiques élans du XIIe et du XIIIe siècle empruntent aux croyances farouches et aux liassions indomptées de l’époque une valeur inattendue, de même, un début du moyen âge, la chronique familière des Carlovingiens perd une partie de son charme, si elle n’est encadrée dans le mouvement des siècles barbares. Or c’est ce contraste qui manque trop souvent à l’œuvre du soigneux écrivain. Naïve sans affectation, appropriée sans pastiche à la simplicité des vieux temps, sa poésie n’a pas les vigoureuses notes que demande la narration épique. Ce défaut est visible surtout dans le second poème. L’auteur s’est proposé de nous rendre tout entière la physionomie du grand empereur des Francs. Le premier cycle de romances est le tableau de l’enfance et de l’éducation de Charlemagne ; le dernier nous le montre comme chef de famille, et si la figure de l’enfant est gracieusement dessinée auprès de Berthe la Meuse, le souverain à la barbe blanche et fleurie dont parle si bien Théroulde, le souverain puissant et débonnaire est peint par M. Gruppe avec un habile mélange d’austérité et de grâce. La partie faible du récit est celle où le fils de Pépin