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abîme à sa gauche, Ce fut un miracle s’il ne glissa pas, ce fut le miracle de son âme magnanime. Lorsque la haine, l’envie, la discorde,déchiraient le sol de l’Allemagne, il se maintint droit au-dessus des divisions, isolé, mais inébranlable.

« Un jour, quand s’apaisera le mouvement des vagues du siècle, quand le dôme, de l’unité germanique sera bâti et que la coupole resplendira, alors sur les murs de granit, comme une solide pierre de taille, comme la pierre angulaire, nous mettrons le nom de l’archiduc Jean, inscrit parmi les beaux noms de la patrie allemande ! »

Après ces généreux élans, pour que le ton du livre reparaisse, voici l’humour qui s’égaie encore, voici le poème fantasque de l’unité restreinte. Aux chimères du patriotisme allemand succèdent les chimères de M. de Radowitz ; le joli cycle d’épigrammes intitulé la grande cloche d’Erfurt est plein de verve, et de gaieté. Le rhythme et la rime, servent également l’habile maître et lui fournissent d’excellens effets comiques. Tout se termine enfin par un Chant de Noël, où les sérieux accens et la gaieté légère s’unissent harmonieusement. La matinée est unie ; les brouillards se dissipent, l’alouette se tait, et l’on se rappelle les encourageantes paroles du début, lorsque le veilleur de nuit appelait si cordialement ses successeurs et signalait à la poésie allemande, de plus fertiles domaines. Telle est l’impression qui résulte de ce gracieux livre.

Ces fertiles domaines, ce seront surtout ceux de l’art, interrogé, étudié dans ses manifestations les plus vraiment nationales. Occupée si longtemps des luttes de la vie publique, dès que la poésie a été rendue à elle-même, elle est revenue avec un bonheur naïf aux inspirations les plus désintéressées. L’école de l’art pour l’art n’a jamais été qu’une crise en Allemagne comme en France, on ne songe pas à la reconstituer aujourd’hui ; mais l’art, qui cherche le beau sous toutes ses formes, l’art, qui s’efforce de toucher les cœurs et d’élever les esprits, l’art, qui veut nous enlever aux mesquines préoccupations de la vie et nous rattacher à l’idéal, voilà ce qu’on a vu reparaître depuis deux ans dans la littérature de nos voisins. Quelle joie de reprendre l’œuvre interrompue ! Le moyen âge allemand attirait d’abord l’attention des artistes. C’est un champ tout nouveau en effet, un champ où bien des gerbes dorées attendent le moissonneur. Il y a un demi-siècle environ que les Investigations de la science historique ont fait comprendre tout le prix de la vieille poésie nationale. Vers le temps où les frères Grimm et leurs amis retrouvaient la primitive Allemagne, une école charmante, mais prétentieuse, altérait déjà d’avance l’esprit de ce mouvement si fécond. Au moment même où ils se vantaient d’arracher les âmes au triste spectacle du présent, les romantiques obéissaient à une inspiration toute moderne. Bien loin de reproduire le moyen âge avec une sincérité hardie, ils se faisaient un moyen âge de mode et de fantaisie, où se jouaient toutes les subtilités, où se croisaient toutes les illuminations bizarres d’une école hostile à la pensée moderne. Il restait donc, à reprendre ces études, jadis détournées de leur but ; l’école des Tieck, des Brentano et des Arnim laissait à de sincères artistes tout un domaine inexploré. Le traducteur des Niebelungen,de Parceval et du Livre des Héros, l’habile et savant Charles Simrock avait maintenu presque seul la tradition de ces études ; depuis la rénovation du mouvement littéraire, il est devenu, sans le savoir, le chef d’une école ou du moins le patron d’un groupe laborieux.