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soldats russes sera ménagée, et les tribus insoumises, au lieu d’être l’objet d’attaques meurtrières, seront prises par la faim. Quelques-unes de ces tribus commencent à comprendre l’inutilité d’une plus longue résistance ; mais, pour soumettre toutes les populations circassiennes, il faudra resserrer de plus en plus autour des montagnes le cordon de ces forteresses, de ces établissemens militaires dont j’ai pu observer à Vnézapné la puissante organisation ; il faudra aussi frayer des routes et abattre, souvent, pour faciliter les communications, des forêts entières. Pendant que la Russie poursuivra ainsi l’œuvre laborieuse du soldat et du pionnier, que fera Shamyl ? Il ne pourra se maintenir que parmi redoublement de violence dans l’exercice d’une autorité qui pèse déjà, dit-on, à ses auxiliaires autrefois les plus dévoués. C’est une garde formée de déserteurs russes et de Tatares fugitifs, dont le nombre varie, suivant les versions, de trois cents à six mille[1], qui est aujourd’hui la principale force du chef circassien. C’est ainsi appuyé qu’il gouverne les villages encore soumis à sa domination. Qui sait si ces hommes ne pourront pas rendre un jour un important service au pays qu’ils ont abandonné, et si une amnistie générale accordée par l’empereur à ses sujets transfuges ne lui livrerait pas tout le territoire ennemi ? En attendant, le rôle de la Russie, c’est non-seulement de se faire craindre, mais de faire comprendre aux populations caucasiennes les avantages du régime nouveau qu’elle vient substituer à leur sauvage indépendance. Elle a déjà su faire quelques pas heureux dans cette voie ; elle n’a, pour arriver à un succès complet, qu’à s’y affermir de plus en plus.


CHARLES REBOUL.

  1. Je cite ce dernier chiffre, quelqu’exagéré qu’il me paraisse, parce que je le tiens d’un officier qui a été quelque temps prisonnier des Circassiens. Blessé gravement dans une rencontre avec les montagnards, il fut emporté par eux dans leur retraite. On lui donna quelques soins, parce qu’on tenait à le conserver en vie dans l’espoir d’une forte rançon ; mais, l’état du blessé donnant des inquiétudes à ses gardiens, ils se décidèrent à le rendre aux Russes et se contentèrent d’une somme de 400 roubles argent. Shamyl, furieux de ce qu’on avait agi sans le prévenir, fit couper la tête aux auteurs de ce marché dès que la nouvelle lui en parvint.