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ses épaulettes[1], il rachète ces défauts par une bravoure qui ne demande que l’occasion de se déployer.

En campagne, le soldat russe aime à se charger d’une foule de petits objets qui constituent un de ses plus chers agrémens. L’officier a des goûts analogues ; aussi on ne se figure pas tout ce qu’il y a de bagages à la suite d’un corps expéditionnaire. Outre l’embarras que ces nombreux bagages jettent dans la marche d’une armée, il en résulte un encombrement de chevaux qu’il n’est pas toujours facile de nourrir. Tous les officiers d’infanterie vont à cheval au Caucase, et soit qu’ils traînent après eux une petite charrette (pavoska) ou qu’ils mettent leurs effets sur le dos d’une bête de somme, il ne faut pas compter moins de deux ou trois chevaux pour chacun d’eux. Un bataillon est composé de quatre compagnies ayant chacune quatre ou cinq officiers auxquels il faut joindre le commandant, le chirurgien et toujours quelques jounkers (cadets), qui à eux tous amènent ainsi une cinquantaine de chevaux, sans compter ceux qui sont strictement nécessaires pour le service général du bataillon. Parmi les régimens d’infanterie, ce ne sont guère que ceux des chasseurs qui vont aux expéditions. Les régimens de ligne sont employés à la garde des forteresses qu’ils ne quittent presque jamais. Pour toute cette armée de fantassins, il n’y a qu’un seul régiment de cavalerie régulière, le 9e de dragons, fort, dit-on, de trois mille hommes. Il est cantonné à Tchir-Iourt, sur la rive droite du Soulak. Le service de cavalerie est fait principalement par les Cosaques du Don et de la ligne. En outre, à chaque expédition, on appelle sous les drapeaux de la Russie de nombreux miliciens pris parmi les peuplades soumises, et qui, à pied ou à cheval, rendent parfois d’importans services. Ce sont des auxiliaires néanmoins sur lesquels il ne faudrait pas trop compter en cas de défaite.

On comprend à peine comment, devant des forces aussi considérables que celles que la Russie entretient dans ce pays, Shamyl peut lui résister si longtemps dans un coin de terre où il est parfaitement enfermé, et qui fournit à peine de quoi nourrir les hommes auxquels il commande. On serait tenté de se demander, — et si je m’arrête à cette question, c’est parce qu’elle m’a été adressée bien des fois depuis mon retour en France, — on serait tenté de se demander si la Russie fait bien sérieusement au Caucase une guerre de conquête. En effet, pour celui qui compare les immenses ressources et les nombreux soldats dont l’empereur de Russie dispose au petit territoire qu’il s’agit ici de soumettre, il y a lieu peut-être de supposer que la

  1. Ces réflexions ne m’ont pas été suggérées seulement parce que j’ai pu voir dans le régiment de Kabarda ; elles sont le résultat des observations faites pendant toute la durée de mon séjour dans les provinces du Caucase.