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il campa pendant une semaine. Un des principaux avantages de ce chef consiste à pouvoir, en tout temps et sans faire de longs trajets, se porter avec toutes ses forces sur n’importe quel point de sa frontière ; ce qui oblige les Russes à être en mesure de résister, partout où ils sont établis, à une vigoureuse attaque. Shamyl est au centre d’une immense circonférence occupée entièrement par les Russes, qui ne peuvent dépasser leurs limites sans s’engager immédiatement dans des vallées étroites et fortifiées, où un petit nombre d’hommes suffit presque toujours pour retarder, sinon arrêter la marche d’une armée envahissante. Si les hommes qu’il avait envoyés contre nous étaient arrivés à temps, il est vraisemblable que nous aurions eu beaucoup à souffrir avant d’être sortis de la vallée.

Les Russes doivent regretter de n’avoir pas depuis longtemps pratiqué, sur une grande échelle, ce système de courses dont on a vu les heureux résultats dans notre guerre de l’Algérie ; peut-être aujourd’hui, grâce à ce système fidèlement poursuivi, seraient-ils maîtres de l’isthme caucasien. Il a fallu à la France vingt années pour dominer complètement un pays habité par une population plus nombreuse et peut-être plus intrépide que celle du Caucase, placé aussi de manière à pouvoir se procurer du dehors des ressources que les Circassiens ne peuvent attendre de personne. Les Russes nous disent à cela que les montagnes de l’Algérie ne sont pas aussi escarpées que celles dans lesquelles ils ont à combattre. Je n’ai pas vu notre Afrique française, il me serait donc impossible d’établir une juste comparaison entre ces deux pays ; mais, s’il faut en croire les descriptions qu’on en a faites, je dois supposer qu’il y a là des difficultés de terrain qui valent bien celles que les Russes ont à surmonter au Caucase. Leur armée d’occupation pour toutes les provinces circassiennes, dans lesquelles on comprend l’immense étendue de pays qui se déploie au sud de la chaîne de montagnes jusqu’aux frontières de la Perse et de la Turquie, est, dit-on, de cent quatre-vingt mille hommes[1], que les maladies viennent souvent assaillir dans des forteresses mal garanties contre les effets d’un climat généralement pernicieux. Je ne parle pas de ceux que la guerre décime : le nombre des morts causées par le feu de l’ennemi est peu considérable relativement à la mortalité entretenue par les maladies et les fièvres de tous genres que provoque dans ces lieux la moindre imprudence. On sait que le soldat russe est peu observateur des règles de l’hygiène. En ce moment encore, les efforts du général en chef prince Woronzoff, pour combattre les causes de ces maladies, viennent se briser contre l’insouciance du soldat, et les officiers qui devraient

  1. J’ignore si les Cosaques de la ligne sont compris dans ce chiffre.