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comme il est sans cesse arrivé dans les rapporte des princes indiens avec l’Angleterre, ou bien ce sont les représentans de la nation abreuvés d’outrages et d’insultes qu’il faut absolument venger, comme on l’a vu en Chine, ou bien encore ce sont des armées entières qui, sans provocation, sans aucun prétexte avouable, se précipitent sur le territoire anglais, et qu’il faut repousser et détruire, comme on a dû le faire deux fois avec les Sikhs du Pendjab. Chaque courrier apporte chaque jour des nouvelles de ce genre ; l’Amirauté, le Foreign et le Colonial Office, le Board of trade et le Board of control en sont fatigués, et il faut rendre cette justice à l’Angleterre, c’est qu’avant de chercher réparation de tous ces griefs, avant de présenter, comme on dit vulgairement, la carte à payer, elle attend le plus ordinairement que le total se monte à un chiffre formidable, et qui ne permet d’élever aucun doute sur la justice de ses réclamations. Dans ce pays libre où la loi et l’opinion règnent souverainement, on a de très grands égards pour l’opinion du monde.

La guerre que les Anglais ont faite à la Chine a fourni de ces honorables scrupules une preuve manifeste entre toutes les autres. Cela est vrai, quoi qu’on en ait dit. Lorsqu’ils ont pris, et bien malgré eux, car ils n’y voyaient qu’une cause de dépenses excessives, le parti d’en appeler aux armes, les Anglais avaient souffert, comme individus ou comme nation, des avanies qui dépassaient toute mesure, et cependant, lorsqu’ils ont dicté la paix en vainqueurs, ils n’ont pas permis aux mandarins de soulever avec eux la question de l’opium ; ils n’ont pas voulu faire un traité spécial à leur commerce, ils ont exigé que les avantages obtenus par eux fussent communs à tous les peuples. Jamais la force brutale ou la victoire, ce qui est tout un, n’avait rendu un pareil témoignage de respect à l’opinion. Toutefois alors c’était chose facile pour l’Angleterre de suivre les instincts de justice, sinon de générosité, qui l’animent ordinairement : elle n’avait encore rien à craindre pour sa prépondérance des suites de son libéralisme ; mais sachez bien que si l’expédition projetée par les Américains contre le Japon réussit quelque peu, la politique anglaise, si patiente jusqu’ici en Chine, changera tout à coup de caractère. Elle demandera compte aux Chinois des infractions trop nombreuses qu’ils ont commises au traité de Nankin, des mauvais traitemens et des dénis de justice dont les sujets anglais ont fréquemment à se plaindre, des assassinats qui ont été commis sur les personnes de plusieurs d’entre eux, et qui ne sont pas encore vengés. Croyez que l’Angleterre a sa liste de griefs déjà toute prête, et tenez pour certain que cette fois, bien que ses griefs soient moins sérieux et moins pressans que ceux de 1839, la satisfaction que demandera l’Angleterre à la Chine sera tout autre chose que la confirmation ou le