Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/301

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

involontaires, ces copies inexactement exactes, et bon nombre d’entre nous ne feraient nulle difficulté de condamner à un éternel repos le crayon et le burin des graveurs pour laisser fonctionner seul l’appareil qui parodie leurs travaux, sans réussir jamais à les remplacer.

Le culte de l’identité matérielle, tel est donc un des principaux obstacles suscités de nos jours au développement de la gravure. La gravure en fac-similé et la photographie sont au fond les contraires de l’art, parce qu’elles ont pour principe l’anéantissement de tout sentiment individuel, pour objet l’effigie même et non l’apparence de la réalité. Le mieux serait par conséquent de ne leur attribuer qu’une importance fort secondaire, et de les employer l’une et l’autre avec une extrême discrétion. À ne parler que de la gravure en fac-similé, rien de plus légitime sans doute que la reproduction par ce procédé de petits portraits ou de croquis. Dans le cours des vingt dernières années, quelques-uns des plus habiles graveurs français qui donné parfois aux planches qu’ils gravaient d’après des dessins l’aspect même des œuvres du crayon ; mais ils se gardaient bien de faire de cette servilité une habitude, et l’on ne pouvait voir dans ces rares essais qu’une transformation accidentelle et pour ainsi dire un caprice du talent. La gravure en fac-similé n’était encore, ni admise par l’opinion ni généralisée par la pratique ; aujourd’hui elle a acquis la force d’un principe et les proportions d’un art reconnu. Bien plus, elle semble résumer déjà les conditions de l’art lui-même, c’est là un fait qu’il importe de constater, un symptôme de rénovation au moins partielle de notre école, et en tout cas un péril pour la gravure dans son sens intime et dans sa plus sérieuse acception.

Est-ce là d’ailleurs le seul danger qui menace l’avenir de la gravure en France ? Le danger qui résulte de notre goût pour les œuvres futiles n’est ni moins réel ni moins évident. Contradiction singulière en effet : nous accueillons avec un empressement égal les produits exclusivement positifs de l’art mécanique et les produits équivoques d’un art sans conscience et sans foi. D’une part, nous demandons aux images photographiques et aux gravures en fac-similé de nous rendre le fait dans sa nudité absolue ; de l’autre, nous nous accommodons le mieux du monde des enjolivemens douteux, des mille ornemens de rencontre dont les faiseurs de vignettes et les graveurs à l’aqua-tinte affublent la réalité dans leurs ouvrages, il semble que l’interprétation à la fois libre et mesurée du vrai soit seule impuissante à nous séduire, et que les travaux du burin gardent pour privilège unique d’être exceptés de la faveur.

Nous le disions en commençant : la gravure en taille-douce ne rencontre plus guère dans notre pays que prévention ou injustice, et les planches d’histoire publiées à Paris obtiennent à L’étranger seulement le succès qui leur est dû. L’administration des Beaux-Arts se montre-t-elle d’ailleurs beaucoup plus préoccupée que l’opinion publique de la gravure et de ses progrès ? Par suite d’une vieille habitude ou d’un respect traditionnel pour les exemples du passé, on envoie encore des graveurs séjourner durant quelques années à la villa Médicis, sans se demander si c’est à Rome que se trouvent maintenant les maîtres de l’art, et quels avantages précis retireront de ce séjour des hommes qui n’ont nullement besoin de s’inspirer pour leurs travaux de