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de leur art et suppléent au savoir par une trompeuse dextérité, les graveurs sur bois conservent au moins au procédé qu’ils emploient son vrai caractère, en réservant ce genre de gravure pour l’illustration des livres de luxe, de certaines publications périodiques ou de ces recueils diversement futiles qui couvrent à tour de rôle les tables des salons. Bien que la verve et la finesse de l’exécution distinguent souvent les vignettes qui reproduisent sur le bois l’image ou la satire des événemens de la veille, on ne peut y voir en général que d’agréables spécimens de l’art frivole, elles n’ont qu’un attrait éphémère, et, la curiosité une fois satisfaite, on ne songe plus à les regarder ; mais les vignettes qui ornent des publications d’un autre ordre sont dignes d’un intérêt plus durable : beaucoup d’entre elles sont traitées, en dépit de l’aridité du moyen, avec une aisance comparable au travail libre et dégagé de la pointe ; et, par la souplesse de ton qu’elle a acquise, la gravure sur bois est devenue une sorte d’équivalent de la gravure à l’eau-forte.

L’Histoire des Peintres de toutes les écoles[1] permet mieux qu’aucun autre recueil d’apprécier les récens progrès de la gravure sur bois en France, et les petites estampes qui accompagnent le texte, dû à la plume aussi ingénieuse que bien informée de M. Charles Blanc, démontrent avec évidence des perfectionnemens que personne, il y a quelques années, n’aurait osé ni soupçonner, ni prédire. Sans doute de pareils ouvrages ne peuvent être mis en regard des planches gravées en taille-douce d’après les mêmes modèles. Quelle que soit son habileté, un graveur sur bois n’arrivera jamais à donner à un paysage, par exemple, ce charme et cette beauté achevée qui n’appartiennent qu’aux planches gravées par le burin d’un Vivarès ou d’un Woollett ; mais toute proportion gardée entre les deux genres de gravure, on peut dire qu’ici l’adresse du travail laisse à peine entrevoir l’insuffisance du moyen. À l’exception de quelques planches d’histoire ou de portrait trahissant certaines préoccupations ambitieuses, certaine prétention de rivalité avec les formes de la gravure sur cuivre, ou ne trouve dans l’Histoire des Peintres qu’une suite de jolies vignettes traitées avec un goût judicieux, une intelligente réserve et un sentiment exact des ressources du procédé : qualités fort rares dans les ouvrages de même espèce publiés aujourd’hui en Angleterre ou en Allemagne, et précisément contraires aux principes des graveurs à l’aqua-tinte, qui ne travaillent qu’à exagérer la mesure et la portée de leur art.

On sait que la gravure sur bois n’est, à vrai dire, que le moyen de multiplier par l’impression les épreuves d’un dessin exécuté préalablement sur la planche même : dessin dont les traits subsistent en relief après que le graveur a creusé plus ou moins profondément toutes les parties intermédiaires. Une épreuve ainsi obtenue doit donc être l’empreinte du sujet tracé par le dessinateur, et la tâche du graveur sur bois, beaucoup moins compliquée que la tache des autres graveurs, se borne à respecter les contours le long desquels on opère. Au lieu d’établir soi-même ces contours d’après un modèle, d’interpréter un effet en interrogeant sa propre science et son sentiment, on n’a simplement qu’à suivre de la main l’empreinte matérielle du sentiment d’un autre. Ce rôle mécanique et en quelque sorte passif est aussi celui des

  1. Paris, chez Renouard et Ce, rue de Tournon, 6.