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sans que les éditeurs d’estampes s’en emparent aussitôt pour en expédier des copies dans toutes les parties de l’Europe et du monde ; mais ces copies, lestement exécutées à l’aqua-tinte, ne relèvent de l’art que d’une manière fort indirecte. Elles intéressent avant tout le commerce, et l’aqua-tinte réduite, comme elle l’est aujourd’hui, au rôle d’un procédé rapide et économique n’a plus dans notre école qu’une importance industrielle. Il n’en va pas ainsi, tant s’en faut, de la gravure en taille-douce ; par malheur, en s’isolant du mouvement de la peinture contemporaine, elle contredit d’autant plus formellement les instincts du public, et cette réserve qu’elle est forcée de s’imposer ne contribue pas médiocrement à dépopulariser ses produits. Les seules estampes sur lesquelles nos regards s’arrêtent encore sont celles qui, participant ouvertement des tendances actuelles de la peinture, n’ont d’autre fin qu’une séduction passagère, d’autre intérêt qu’un intérêt de circonstance ; les estampes gravées, au contraire, en vertu des règles absolues de l’art et de ses conditions immuables, demeurent sans attrait pour nous, parce que cette méthode savante n’a plus à nos yeux que le caractère du pédantisme.

Les graveurs français contemporains peuvent donc se diviser en deux groupes distincts. Le premier, c’est-à-dire le plus important par le nombre, est formé de tous les artistes qui se servent de la gravure comme d’un moyen de satisfaire le goût à peu près universel pour les œuvres secondaires, amusantes avant tout et intelligibles sans effort. Ces graveurs, qu’on pourrait appeler les feuilletonistes de l’art, retracent avec plus ou moins de succès, à l’aqua-tinte ou sur le bois, des sujets ordinairement en rapport avec les inclinations de la foule, et font de la gravure un auxiliaire de l’industrie ou un accessoire de la presse. Le second groupe, plus digne de considération à tous égards, se compose des graveurs qui, en dépit de l’indifférence publique, consacrent encore de longues années aux études difficiles, aux rudes travaux, aux investigations patientes, et qui semblent, à côté de ces improvisateurs, des bénédictins attardés dans le XIXe siècle, ou tout au moins des talens dépaysés. L’école française de gravure n’a, on le voit, ni l’unité de physionomie qui la caractérisait autrefois, ni même aucune sorte d’unité. Chacune des classes d’artistes qui la partagent est elle-même subdivisée à l’infini et ne présente qu’un ensemble de talens individuels, sans corrélation très évidente, sans principe et sans lien communs. On peut toutefois établir entre les graveurs contemporains une ligne de démarcation générale, en séparant les artistes des industriels, et les disciples fidèles de nos anciens maîtres des hommes qui n’acceptent pour toute tradition que les exemples donnés hier. En regard, ou plutôt à la suite des œuvres du burin, de ces planches d’histoire conformes au passé de l’école, il convient de placer les innombrables produits d’un art inférieur, mais digne aussi de fixer l’attention, De fût-ce qu’à titre de fait nouveau et de symptôme. S’il est juste de tenir compte de tous les genres d’habileté, il est juste aussi de faire, une part inégale entre le résultat des efforts studieux et le résultat d’une adresse superficielle ; en un mot, sans méconnaître là où elles peuvent se trouver la grâce facile et la finesse, on doit attacher plus de prix à des qualités d’un autre ordre, et réserver une estime principale pour le talent sérieux et pour les travaux qui l’attestent.