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bres engourdis, car il se sentait pris d’un frisson, mais ce n’était pas l’influence de l’air frais de la nuit. Une étrange sensation roid lui avait couru par tout le corps et lui avait presque transi le cœur au moment où le moine lui avait touché la main en lui remettant la pièce de monnaie : les doigts du moine étaient froids comme la glace. Pendant longtemps, le pêcheur se rappela cette circonstance : mais la jeunesse finit toujours par se débarrasser des souvenis sinistres, et le péêheur ne pensait plus à cet événement, lorsque l’année suivante, au même jour de l’équinoxe, on heurta de nouveau vers minuit à la fenêtre de sa cabane. C’étaient les moines de l’année dernière, et qui étaient tout aussi pressés qu’alors. Ils requirent de nouveau la barque, et le jeune homme la leur confia cette fois avec moins d’hésitation. Lorsqu’au bout de quelques heures les voyageurs furent de retour et que l’un d’eux, pour payer le péage au pêcheur, lui mit dans la main une pièce d’argent, celui-ci sentit de nouveau avec effroi les doigts glacés du moine, et le même événement se renouvela tous les ans à la même équinoxe.

La septième année, aux approches de cette époque, le jeune pêcheur éprouva le plus vif désir de pénétrer le mystère qui se cachait sous les trois frocs, et il voulut à tout prix satisfaire sa curiosité. Il déposa au fond de la barque un amas de filets pour s’en faire une cachette où il put se glisser pendant que les moines monteraient à bord. Les trois mystérieux voyageurs arrivèrent en effet à l’heure où ils étaient attendus, et notre pêcheur réussit à se cacher lestement sous les filets et à prendre part à la traversée. À son grand étonnement, celle-ci dura fort peu de temps, tandis que d’ordinaire il lui fallait plus d’une heure pour arriver au rivage opposé du lac. Son étonnement redoubla lorsque, dans cette contrée qui lui était parfaitement connue, il aperçut une clairière qu’il n’avait jamais vue auparavant, et qui était entourée d’arbres dont l’espèce paraissait appartenir à une végétation étrangère. Des lampes innombrables étaient suspendues aux branches de ces arbres : sur des socles élevés étaient placés des vases où flamboyait la résine des bois ; de plus, la lune jetait une clarté si vive que le jeune homme put voir aussi distinctement qu’en plein jour la foule qui s’était réunie en ces lieux. Il y avait là quelques centaines de jeunes hommes et de jeunes femmes, tous d’une beauté remarquable, quoique leurs visages eussent la blancheur du marbre. Cette circonstance, jointe au choix des vêtemens — c’étaient des tuniques blanche relevées très haut, avec une bordure de pourpre, — leur donnait l’aspect de statues ambulantes. Les femmes avaient orné leur tête de pampre naturel ou fabriqué avec du fil d’agent ; leurs cheveux, tressés en forme de couronne, laissaient retomber un flot de boucles ondoyant sur