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ils profitent donc de toute la baisse obtenue dans le prix des denrées de première nécessité. On a pu croire aussi que la somme de main-d’œuvre agricole diminuerait ; tout annonce en effet qu’elle sera réduite sur quelques points par l’extension de la vapeur et des machines perfectionnées ; mais sur d’autres elle sera accrue par le progrès de la stabulation et la transformation des prairies en terres arables. En résumé, elle restera au moins égale à ce qu’elle était auparavant. En même temps l’opinion commande de nouvelles améliorations en faveur des classes populaires ; on veut que les lois sur la résidence en matière de taxe des pauvres soient révisées, afin que les ouvriers puissent aisément se déplacer et se rendre des points où le salaire est le plus bas dans ceux où il est le plus élevé, sans rien perdre de leurs droits aux secours publics ; on veut que les propriétaires s’occupent paternellement de leurs journaliers, qu’ils veillent à leur instruction et à leur moralité comme à leur bien-être matériel, et les plus grands seigneurs tiennent à honneur de remplir ce devoir. Beaucoup d’entre eux font bâtir des cottages sains et commodes qu’ils louent à des prix raisonnables : le prince Albert, qui veut être le premier à donner tous les bons exemples, avait fait exposer sous son nom, à l’exhibition universelle, un modèle de ces sortes de constructions. On y joint en général un petit lot de jardin où le locataire puisse faire venir des légumes frais ; c’est ce qu’on appelle allotmens. Dans tous les grands domaines, le maître fait construire en outre des chapelles et des écoles, et encourage les associations mutuelles qui ont un but d’utilité commune.

Ainsi a été prévenue la guerre des classes, et, sans autres secousses que celles qui étaient absolument inévitables, l’Angleterre a fait un grand pas, même au point de vue agricole. Voilà pourquoi, quand Robert Peel est mort, l’Angleterre entière a pris spontanément le deuil : le grand citoyen avait été compris.

Je ne m’arrêterai pas à faire ressortir la différence entre la crise anglaise de 1848 et la crise française de la même époque. L’intérêt rural est aussi chez nous celui qui a le plus souffert, mais il n’a pas été le seul à souffrir, et tous les intérêts ont été ébranlés à la fois. On a vu le prix des denrées baisser rapidement ; non pas comme en Angleterre, parce qu’il était trop élevé, mais parce que le travail industriel et commercial s’étant arrêté, la classe non agricole n’avait plus le moyen d’acheter de quoi vivre. La consommation dans toutes les branches, au lieu de s’accroître comme chez nos voisins, s’est réduite au strict nécessaire, et dans un pays où l’alimentation moyenne en viande et en blé était à peine suffisante, il s’est encore trouvé trop de viande et de blé pour les ressources d’une population appauvrie. La culture et la propriété éperdues n’ont pas trouvé comme en Angleterre