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légalisés transmissibles par endossement. Nous sommes bien loin, comme on le voit, des anciennes idées sur l’immobilisation absolue de la propriété, et ce ne sont pas des rêveurs chimériques qui proposent cette réforme, ce sont des écrivains sérieux et justement considérés ; le gouvernement lui-même s’en occupe.

Pour les fermiers, on demande des baux de vingt et un ans qui leur permettent de faire les avances exigées avec la certitude de s’en rembourser ; on réclame en même temps la suppression des trop petites fermes dont les tenanciers n’ont pas un capital suffisant, et la division des trop grandes, pour le même motif. Ceux d’entre les fermiers qui n’avaient pas assez de ressources font comme les propriétaires obérés, ils disparaissent ; ceux qui restent serrent les rangs comme dans un combat, et bientôt il n’y paraîtra plus.

Tout cela constitue sans doute une immense révolution. La culture change de nature, elle devient de plus en plus industrielle : chaque champ sera désormais une sorte de métier, travaillé dans tous les sens par la main de l’homme, percé en dessous de toute sorte de canaux, les uns pour écouler l’eau, les autres pour apporter l’engrais, et qui sait ? peut-être aussi pour conduire de l’air chaud ou frais suivant les besoins, et offrant à sa surface les transformations les plus rapides ; la vapeur déroule, sur les verts paysages chantés par Thompson, ses noires spirales de fumée ; le charme spécial des campagnes anglaises menace de disparaître avec les pâturages et les haies ; le caractère féodal s’altère par la destruction du gibier : les parcs eux-mêmes sont attaqués comme enlevant de trop vastes espaces a la charrue ; en même temps la propriété tend à se déplacer, à se diviser, à passer en partie dans des mains nouvelles, et le fermier tend à s’affranchir par de longs baux de l’autorité du landlord. Il y a là plus qu’une question agricole, l’ensemble de la société anglaise parait en jeu. Il ne faut pas croire que les Anglais ne fassent pas de révolutions, ils en font beaucoup au contraire, ils en font toujours, mais à leur manière et sans se presser ; ils ne tentent ainsi que ce qui est possible et véritablement utile, et on peut être sûr qu’en fin de compte le présent aura complète satisfaction, sans que le passé soit tout à fait détruit.

Ces changemens s’accomplissent surtout au profit des classes moyennes, déjà si nombreuses et si puissantes en Angleterre, et qui, là comme partout, dominent de plus en plus la société ; mais ils profitent aussi aux classes laborieuses et populaires. Celles-ci s’en contentent pour le moment, car ce qui n’est pas moins admirable en Angleterre que l’esprit de concession chez les uns, c’est l’esprit de patience chez les autres. On a pu croire un moment que le taux des salaires ruraux baisserait ; l’opinion les a défendus, et ils ont résisté ;