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la peau et faisant communiquer toutes les branchies. Des trajets lacunaires reliaient entre elles ces deux sortes de cavités, et cet ensemble de canaux, de lacunes et de vaisseaux bien caractérisés, partout rempli d’un mélange de chyle et de lymphe, représentait, on le voit, la cavité générale des autres invertébrés. Seulement une partie de ses dépendances, constituée à l’état de vaisseaux proprement dits, formait un véritable appareil lymphatique rudimentaire. C’était à la fois un fait tout nouveau dans l’histoire des invertébrés et une nouvelle preuve que partout la nature reste fidèle à la grande loi du perfectionnement progressif des organismes. Comme l’appareil circulatoire sanguin dont nous avons ailleurs esquissé l’histoire[1], l’appareil circulatoire lymphatique se montre d’abord très incomplet, et si nous avions à le suivre dans ses transformations, nous le verrions ne s’isoler complètement, c’est-à-dire ne se constituer peut-être d’une manière définitive, qu’après avoir traversé le groupe le plus inférieur du sous-règne des vertébrés, la classe des poissons.

Ainsi, par la présence des appendices latéraux, le branchellion s’isole de toutes les hirudinées. Par la nature respiratrice de ces appendices, il s’écarte non-seulement du groupe où on l’a placé, mais encore de tous les groupes voisins. Enfin la caractérisation de ces organes respiratoires comme branchies lymphatiques achève d’en faire un animal tout à fait exceptionnel. Certes, si le principe des caractères dominateurs était aussi vrai que le croyait Cuvier et que l’admettent encore bien des anatomistes ; si la moindre modification dans l’appareil destiné à l’accomplissement d’une fonction importante exerçait réellement sur tout le reste de l’organisme l’influence qu’on lui attribue, l’examen anatomique des systèmes digestif, vasculaire, nerveux, devrait montrer des dispositions non moins nouvelles. Et pourtant il n’en est rien. Sans doute entre ce que j’ai trouvé chez le branchellion et ce qui existe dans les sangsues ordinaires il y a des différences, mais ces différences sont d’un ordre bien inférieur. La plupart ne dépassent pas en importance celles que nous présentent de l’un à l’autre les genres les plus rapprochés dans ce groupe. Anormal pour tout ce qui est du ressort de la respiration lymphatique, le branchellion, sous tous les autres rapports, n’est qu’une hirudinée ordinaire. La classification, qui n’est pas la science, mais qui doit autant que possible en être l’expression, a donc là un double fait à traduire. Pour cela, il faut encore s’écarter de quelques-unes de ces règles inspirées par l’étude trop exclusive des animaux supérieurs.

En transportant dans la zoologie le grand principe de la subordination des caractères, découvert par Laurent de Jussieu, Cuvier rendit

  1. Revue des Deux Mondes, livraison du 15 octobre 1846.