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hôtesse, d’âge très mûr, était quelque peu criarde, et sans mériter le reproche d’exigence, j’aurais pu trouver à redire à la saveur des mets, à la propreté du service ; mais ma chambre était grande et claire, mais devant moi s’étendait le port avec ses trois bassins, mais pas une barque n’entrait à La Rochelle sans passer sous mes yeux, et j’étais en plein quartier de pêcheurs et de marins. Grâce à quelques recommandations aussi nécessaires en pareil cas qu’en bien d’autres, j’étais en relation avec deux patrons. Je les vis plus souvent, je leur fis la cour. Le docteur Sauvé joignit son influence à mes sollicitations, et m’apporta enfin le premier un animal fort curieux dont l’existence dans les mers de La Rochelle avait été un des motifs déterminans de mon voyage. Quelques détails sur cette espèce remarquable feront comprendre, j’espère, comment, au point où en est la science moderne, un de ces petits êtres si dédaignés du vulgaire et même de certains savans peut mériter qu’un naturaliste fasse cent cinquante lieues tout exprès pour l’étudier.

Les hommes qui, réunissant en un faisceau les faits jusque-là isolés, firent de la zoologie une véritable science, durent nécessairement s’attacher d’abord aux groupes à type fixe, les mieux circonscrits et les plus naturels, aux animaux dont l’anatomie traduisait de la façon la plus complète les plans fondamentaux. Lorsqu’ils venaient à rencontrer un de ces groupes à type variable où les espèces les plus voisines sous certains rapports diffèrent essentiellement sous d’autres, lorsque leur scalpel se heurtait à quelqu’un de ces animaux qui s’écartent brusquement de leurs plus proches voisins et semblent vouloir faire bande à part, ils sautaient par-dessus ces exceptions encore fort rares et les casaient tant bien que mal dans leurs cadres réguliers. Cette manière d’étudier pouvait seule leur donner la clef de la méthode, leur révéler les tendances générales de l’organisation et leur inspirer de grandes vues capables d’embrasser le règne animal dans son ensemble ; mais elle devait entraîner et elle entraîna en effet un inconvénient réel. On assimila d’une manière trop complète la science de la création vivante aux sciences des corps bruts, et parce que celles-ci présentaient un certain nombre de lois plus ou moins rigoureuses, on voulut prématurément agir de même en zoologie descriptive, en anatomie, en physiologie. Bientôt la zoologie eut comme la physique ou la chimie, presque comme les mathématiques, un certain nombre de formules, le plus souvent prises à leur juste valeur par ceux qui les émettaient, mais dont la foule des élèves et des imitateurs ne tarda pas à faire autant de règles inflexibles, d’incontestables vérités.

Cependant la science a marché, et, en dépit des hommes qui luttent encore pour le passé, il faut bien reconnaître qu’un grand nombre de généralisations admises sur parole, ou même vraies il y a trente