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Entre le Mail et la mer s’étend une langue de terre naguère inculte et qu’a su mettre à profit dans un intérêt général un Rochelais que regrettent depuis peu ses concitoyens et les savans de tout pays[1]. Les bains de mer fondés par M. Fleuriau de Bellevue semblent réaliser l’idéal d’un établissement de ce genre. Des constructions élégantes et simples, une large terrasse que borde en guise, de parapet une haie d’arbustes entrelacés, s’élèvent au-dessus d’une falaise de quelques pieds. Au-dessous s’étend la longue file des tentes. Un plan incliné pavé de larges dalles que couvre et lave la marée met les baigneurs inexpérimentés à l’abri des galets et de la vase. Un vaste jardin anglais planté d’arbres verts, émaillé de pelouses, semé de chalets et de kiosques, se prolonge du côté de la digue et permet de choisir, au milieu même des fêtes les plus bruyantes, entre la foule et la solitude. Ce jardin fut bientôt mon lieu de repos favori. Après une longue journée de travail, j’aimais à m’asseoir la nuit dans l’ombre de quelque massif dominant la falaise, et là, tantôt à peu près seul, je me pénétrais de ce calme absolu qu’on ne connaît pas dans les grandes villes, tantôt, aux jours de réunion, j’écoutais la musique militaire jetant ses notes stridentes à la foule pressée dans les allées du Mail ou les sons joyeux de l’orchestre appelant les danseurs dans les salons, tandis qu’en face de moi la lune argentait les eaux de la baie et faisait miroiter, en leur prêtant un charme bien trompeur, les bancs de vase du chenal.

La morte-eau, qui mettait obstacle à mes courses zoologiques, ne m’avait pas empêché, dès les premiers jours de mon arrivée, de parcourir la côte pour me faire une idée de ce que je pouvais craindre ou espérer. Ces premières explorations m’inspirèrent de sérieuses inquiétudes. En effet, de mes recherches précédentes il résultait que les calcaires comparés aux schistes et aux granites sont toujours infiniment moins riches en animaux marins. À raison de leur dureté moindre, ils résistent moins bien aux chocs purement mécaniques, alors mêmes qu’ils sont en masses compactes. En outre, leur composition chimique permet à l’eau d’en dissoudre une proportion qui, pour être faible, n’en est pas moins sensible. Aussi les algues et les fucus, qui sur les côtes de Bretagne transforment le granite en buissons ou en prairies, ne peuvent se fixer solidement sur ces surfaces toujours renouvelées et sont ici beaucoup plus rares. Avec eux disparaissent une foule d’espèces animales qui se nourrissent de ces plantes marines ou trouvent une retraite dans leurs rameaux. Les mêmes conditions opposent les mêmes obstacles à la multiplication des zoophytes

  1. M. Fleuriau de Bellevue avait mérité par ses nombreux travaux le titre de correspondant de l’Institut (Académie des Sciences). Pendant plus de quatre-vingts ans, il consacra sa fortune entière à faire autour de lui le plus de bien possible. Aussi sa mort a-t-elle été regardée à La Rochelle comme un malheur public.