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siège, les fleurs de lis furent respectueusement conservées sur les portes, et chaque jour, au plus fort même de la famine, on priait Dieu pour la vie du roi. En un mot, fidèles malgré leur lutte armée, les Rochelais ne cessèrent de mériter le reproche que leur adressaient leurs prétendus alliés d’outre-mer, d’avoir la fleur de lis empreinte trop avant dans le cœur. Mais cette fidélité était subordonnée à leur attachement pour leurs privilèges, et ceux-ci, inconciliables avec les progrès de la société, avec le mouvement de fusion qu’accélérait la main puissante de Richelieu, devaient fatalement périr. La Rochelle avait incontestablement pour elle le droit ancien ; le cardinal pouvait invoquer le droit nouveau, et peut-être est-il permis de dire que dans ce sanglant conflit l’attaque et la défense furent également légitimes.

Ce n’est pas, nous aimons à le croire, en qualité de protestant que Guiton s’est vu refuser la statue que voulait lui élever sa ville natale. Nos lois et nos mœurs plus encore n’accepteraient pas une pareille raison. Est-ce comme républicain ? est-ce comme représentant de la prétendue alliance qui, au dire de quelques personnes, existerait entre ces deux ordres d’idées ? Nous ne saurions repousser trop hautement une telle pensée. Etablir une solidarité quelconque entre les doctrines politiques et la foi religieuse, c’est méconnaître l’esprit même du christianisme qui a si nettement distingué le royaume des deux des royaumes de ce monde, Dieu de César. Pas plus que le catholicisme, le protestantisme n’est essentiellement républicain. Un coup d’œil jeté sur la carte d’Europe, un souvenir des dernières années suffisent pour prouver ce fait. Tous les grands états protestans sont des monarchies, et la couronne y est aussi solide sur la tête des souverains que dans les états les plus catholiques, qu’à Rome même.

Aujourd’hui qu’ont disparu pour toujours les causes qui firent couler tant de sang, aujourd’hui qu’une France compacte a remplacé la France morcelée d’autrefois, et que les croyans des religions les plus diverses sont égaux aux yeux de la mère commune ; aujourd’hui que le fantôme de république sorti des barricades de février est tombé devant la plus éclatante des manifestations nationales, rien, ce nous semble, ne doit plus s’opposer à la réalisation d’un vœu que nous avons entendu formuler par bien des bouches sans acception d’opinions ou de croyances. Guiton fut la plus haute expression des sentimens de ses concitoyens ; à ce titre, les Rochelais lui doivent une statue. L’idée de patrie s’est transformée à La Rochelle aussi bien que dans toutes nos provinces ; la France peut donc sans danger rendre hommage à ce patriotisme local qui fut longtemps le seul vrai, le seul possible, et honorer dans le dernier défenseur des franchises rochelaises le courage et la fermeté portés jusqu’à l’héroïsme. Des souvenirs de cette nature sont toujours bons à réveiller.