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pour les Rochelais. Imiter le duc d’Anjou, c’était vouloir se heurter aux mêmes obstacles et s’exposer à échouer comme lui. Aussi Richelieu, décidé à détruire en France le parti protestant, qu’il soutenait en Allemagne, suivit-il dès l’abord une tout autre tactique. Pour ne rien laisser au hasard dans ce terrible jeu de la guerre, il changea le siège en blocus. Par ses ordres, un fossé de six pieds de profondeur, de douze de largeur et de trois lieues de développement, fut creusé autour de La Rochelle, et vint déboucher des deux côtés à l’entrée de la baie. Derrière ce fossé s’éleva un parapet flanqué de dix-sept forts et d’un plus grand nombre de redoutes armées d’une formidable artillerie. Quarante mille hommes d’élite commandés par les plus habiles généraux du royaume campèrent en dehors de ces lignes avec ordre de ne combattre que pour repousser les assiégés, et des châtimens sévères infligés aux plus ardens apprirent bientôt à l’armée que c’était là un ordre sérieux. Tranquille du côté de la terre, Richelieu s’occupa de la mer. L’anse au fond de laquelle était bâtie la ville séparait les deux extrémités de l’enceinte précédente par un canal d’environ quatorze cents mètres que les navires de La Rochelle franchissaient malgré le feu des batteries et des forts, que pouvaient tenter de traverser les Anglais, ces douteux alliés de la commune : Richelieu résolut de le barrer. Sous ses yeux, Clément Métézeau enfonça des pilotis, submergea des navires chargés de pierres, et éleva sur ces fondations une digue dont la hauteur dépassait celle des plus hautes marées. Un goulet de quelques toises laissé au milieu fut défendu par deux petites jetées accessoires chargées de bouches à feu, par deux forts et par une triple enceinte de vaisseaux de guerre toujours prêts au combat, de poutres reliées par des anneaux de fer et de navires à l’ancre dont, les proues tournées vers le large et armées de longs éperons devaient arrêter les brûlots et les foudroyans[1]. Celà fait, Richelieu attendit avec la patience qu’inspire la certitude du succès.

En effet, la chute de La Rochelle c’était plus qu’une question de temps. Ses habitans, séquestrés ainsi d’une manière absolue, eurent bientôt épuisé tout ce qu’ils possédaient de vivres. La famine devint horrible. Les détails transmis à ce sujet par divers témoins oculaires sont effroyables. Après avoir mangé les plus immondes animaux, après avoir essayé de remplacer le blé par des os et du bois pilés, la viande, par du cuir et du parchemin, les Rochelais en vinrent à tromper leur faim avec du plâtre et des ardoises broyées. Plusieurs se nourrirent de cadavres, et l’on vit une femme mourir en dévorant son propre

  1. Espèces de mines flottantes, formées avec des navires maçonnés à l’intérieur, que l’on plaçait près d’une digne pour la renverser par l’explosion.