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mettre à sa tête, La Rochelle devint promptement une véritable puissance. À la fois trafiquante et guerrière, elle sut au besoin transformer ses navires de commerce en vaisseaux de guerre, et ses matelots, devenus soldats, méritèrent, depuis les temps de Duguesclin jusqu’à ceux du duc de Guise, les épithètes de rusés soudards et de braves gens. Aussi, pendant le moyen âge, joua-t-elle à diverses reprises un rôle politique important. On la voit, entre autres, faire une guerre heureuse aux rois d’Aragon, chasser les Anglais, à qui le traité de Brétigny l’avait livrée, et venir en aide à Duguesclin, — résister aux Anglais et aux Bourguignons pendant la démence de Charles VI, et fournir à Charles VII la flotte qui l’aida à reconquérir Bordeaux. Pendant cette longue période, l’esprit qui anime La Rochelle reste toujours le même, et peut se traduire en deux mots : — attachement sans bornes à ses privilèges, fidélité inaltérable au roi qui les garantit. — La république revendique comme un honneur son titre de vassale de la couronne ; en revanche, elle demande qu’avant d’entrer dans ses murs, le suzerain jure de respecter ses libertés. À cette condition seule, le maire coupe le cordon de soie tendu devant la porte de la ville ; mais aussi, à cette condition, La Rochelle ne marchande jamais ni sang ni or, et la couronne trouve toujours en elle un de ses plus fidèles, de ses plus utiles appuis. Mais un jour l’épée de Montmorency tranche le cordon qu’avaient respecté tant de rois, et Charles IX entre, sans prêter le serment voulu, dans La Rochelle, devenue protestante. La marche de la société, l’antagonisme des croyances religieuses, ont rompu l’accord consacré par trois siècles de dévouement d’une part, de bienveillance de l’autre. La guerre éclate et se poursuit, tantôt sourde, tantôt ouverte. Alors La Rochelle semble puiser un surcroît d’énergie dans l’association d’une forme politique vieillie et d’une foi nouvelle. Pendant près de cent ans, elle lutte, toujours avec honneur, souvent avec succès. Deux fois elle voit devant ses murs toutes les forces du royaume, et si enfin elle succombe, ce n’est que devant le génie inflexible et patient de Richelieu.

Parmi les événemens qui signalent la triste période de nos guerres religieuses, il en est peu qui égalent en importance les deux sièges de La Rochelle par les troupes royales. L’insuccès du premier releva le parti calviniste au lendemain même de la Saint-Barthélémy, et arracha à Charles IX, un an à peine après ce grand forfait, un des édits les plus favorables qu’eussent encore obtenu les réformés. L’issue du second détruisit la dernière citadelle des protestans, et les fit rentrer de force dans la loi commune. À partir de cette époque, le protestantisme ne fut qu’une religion et non plus un parti politique. Aussi le récit de ces deux sièges occupe-t-il une large place dans les annales de La Rochelle ; nous allons en rappeler les traits principaux.