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ignorans qui n’estiment les choses que par l’opinion des autres. Il faut pardonner à ces amans malheureux de la rareté le mystère dont ils s’entourent. Dieu fasse paix à un bibliophile de mes amis, qui ne révéla qu’en expirant à un sien neveu, préparé par de fortes études, le numéro de la page où se trouve, en un certain livre, certaine faute typographique qui le rend inestimable ! Depuis vingt ans, il attendait la mort d’un autre bibliophile qui possède ce trésor sans le connaître. Fallait-il qu’en publiant son secret il avertit tous les bouquinistes de Paris de lui disputer le précieux volume ? — « Je sais maintenant quel est le meilleur morceau d’un gigot de pré-salé, » disait un illustre gourmand. — « Quel est-il ? » lui demanda un étourdi. — « On ne le saura qu’après ma mort, » répondit le gourmand, il avait peut-être raison.

Mais en contraste avec cet égoïsme de la passion, cette amitié goulue qui n’en veut que pour soi, combien est admirable l’enthousiasme expansif d’autres amateurs qui voudraient voir le monde heureux de ce qui fait leur bonheur ! Ils me rappellent les preux d’autrefois, qui portaient dans toutes les cours le portrait de leurs dames pour emprinses et se plaisaient à se donner des rivaux. Tel est, je crois, le sentiment généreux qui a conseillé à M. Marryat de publier son guide du collecteur de poteries. Il a réuni dans un volume in-8o, magnifiquement imprimé et illustré de jolies planches coloriées et de vignettes sur bois, tout ce qu’il est indispensable qu’un amateur sache de l’histoire et de l’art de la céramique, toutes les observations qu’il doit faire avant d’admettre un vase dans sa collection. M. Marryat s’est attaché à décrire exactement les caractères extérieurs d’après lesquels on peut reconnaître l’âge, l’origine, la qualité des faïences, des grès et des porcelaines. Il note soigneusement les prix que les principaux de ces objets ont atteints dans les dernières ventes, et, par parenthèse, il y a de ces prix qui donnent lieu de croire que notre siècle est bien riche. Enfin une suite de fac simile excellens indique les marques des fabriques et les signatures ou les monogrammes des artistes de tous les pays, de toutes les époques, dont les ouvrages sont recherchés.

M. Marryat a peu de goût pour la céramique grecque, et, à vrai dire, ce ne sont pas les vases eux-mêmes qui intéressent les collecteurs de patères et d’amphores, mais bien plutôt les compositions et les renseignemens mythologiques qu’ils y trouvent. Laissant ces recherches aux érudits en us, M. Marryat commence son traité par la fabrication des faïences peintes d’Italie au XVe siècle, connues sous le nom de Majolica. Après avoir décrit les procédés des différentes fabriques, et passé en revue tous les genres de poteries dures et tendres exécutées en Italie, en France, en Allemagne, en Angleterre, etc., il trace rapidement l’histoire des porcelaines, depuis leur fabrication presque immémoriale en Chine et au Japon jusqu’aux imitations, inventions et perfectionnemens réels ou imaginaires des principales manufactures de l’Europe. Je n’ai que des éloges à donner à ce travail. Il est impossible de réunir plus de renseignemens exacts et précis, ni de les coordonner plus méthodiquement. Indispensable aux faiseurs de collections, le livre de M. Marryat offre encore une lecture agréable aux gens du monde, curieux de savoir comment et de quoi sont faits les vases dont ils se servent tous les jours. Bref, c’est un heureux mélange d’art, de science et d’histoire, exempt de toute pédanterie, et au moyen duquel on peut parler des choses avec les honnêtes gens.

Cependant, à mon avis, l’auteur, sans trop agrandir son plan, aurait encore