Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Néanmoins, et c’est pour cela que nous avons jugé si sévèrement cette littérature du XVIIIe siècle et eux qui tentent de la reproduire, il y a dans cet esprit, dans ces œuvres du siècle dernier, quelque chose, nous l’avons vu, qui flatte la paresse, tous les mauvais instincts de l’intelligence et du cœur ; et cette littérature peut être particulièrement dangereuse à cet instant du XIXe siècle où nous sommes arrivés. Si nous étions à une de ces époques pleines d’enthousiasme, où toutes les intelligences marchent en avant vers un but certain qu’elles aperçoivent ; si les cœurs étaient fiers, les doctrines respectées, la poésie vivante, nous pourrions nous contenter de prendre en pitié de tels modèles et de tels efforts ; mais cette fièvre passionnée, qui avait saisi le commencement de notre siècle, s’est éteinte : nous sommes arrivés à un moment d’hésitation et de trouble, nous attendons et nous espérons. C’est alors, pendant ce temps de fatigue et ce travail de germination, que les plus mauvaises images sont dangereuses, et que les plus absurdes modèles exercent pourtant quelque influence. Aussi, quand je pense à tout ce prosélytisme d’idylles, de bouquets à Chloris, d’épigrammes et de jeux de mots, à toute cette dépravation morale dont on étale de si arrogans exemples et de si vaniteuses guenilles ; quand je vois aussi que les circonstances sont favorables à une telle littérature, je me dis qu’il ne faut point tant mépriser M. de Bièvre et Dorat, et je crains que cette décrépitude de l’autre siècle ne trouve en ce moment des élémens semblables à elle, qui la reconnaissent, la protègent, la réchauffent, et qu’il ne provienne de là quelque monstrueux mélange.

La science est le repos de la poésie, nous le savons, et quand après les momens d’exaltation intellectuelle, les intelligences fatiguées se découragent, et veulent s’endormir dans leur épuisement, c’est l’étude, et l’étude de l’histoire, qui les secourt, qui les ramène doucement à l’ardeur, à l’énergie, à l’amour de l’art. La critique alors a un grand rôle à remplir, et ce n’est pas sans utilité pour la poésie elle-même qu’elle lui parle des temps passés ; mais aussi ce n’est pas dans la vieillesse d’une rhétorique que la critique doit chercher des monumens, des modèles et des enseignemens. C’est à la source du génie national qu’il faut remonter, non pour y trouver des imitations à faire et des pastiches, mais pour y voir se développer ce génie dans toute son indépendance, pour y reconnaître les vraies traditions de cette destinée que Dieu a confiée à la race française, pour y retrouver surtout notre caractère dans toute sa vérité, au milieu des grandes œuvres, des grandes pensées et des grandes vertus qu’il a produites. C’est là l’œuvre importante et utile de la critique. C’est par là qu’elle servira aussi la poésie, en la débarrassant de tous ces liens de convention qui l’ont enserrée depuis tant de siècles, en lui déblayant la seule voie où elle ait jamais trouvé la grandeur et la durée : la voie de l’indépendance, de la morale et de la foi.


C. D. D’HERICAULT.