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ressemble toujours à un vieux libertin fatigué de l’amour des boudoirs, qui se met en quête d’une vertu champêtre à corrompre et qui ne la trouve pas. Le diable est si malin dans les champs, l’herbe tendre si pleine d’embûches, que le XVIIIe siècle ne rencontre jamais sous le cotillon rouge que des Ninons mal peignées. Ceci est l’histoire de l’opéra-comique de Favart et de la Chercheuse d’esprit en particulier. Quant aux contes que cette édition sent le besoin d’attribuer à Mme Favart, ils sont incontestablement de Voisenon. C’est bien ce même style à mille facettes, énigmatique et impertinent : gaieté laborieuse, ironie obligatoire, recherche pénible des idées baroques, allusions, pointes libertines, traits d’esprit accrochés à la trame la plus absurde, prétention constante d’avancer par bonds, d’illuminer par éclairs, souvent une mauvaise fable des Mille et une Nuits contée par un Arétin bouffon, — c’est du pur Voisenon.

Cet esprit, dont Boufflers et ses prédécesseurs avaient fait toute la poésie, Fontenelle l’avait, depuis longtemps déjà, apporté dans la science et la philosophie. À ce titre, il méritait une plaie dans la nouvelle Bibliothèque. Fontenelle est le contemporain des musettes : toute sa rhétorique paraît faite pour être chantée avec cet accompagnement, et, il ne faut pas l’oublier quand on veut lui trouver sa vraie place dans l’histoire littéraire, il a introduit dans la prose une recherche analogue à celle que nous avons constatée dans la poésie au commencement du XVIIIe siècle. Il reconnaît, avec une naïveté recommandable qu’il eut bien de la peine à n’être pas jaloux de M. de La Mothe ; il avait le même droit d’être jaloux de La Fare, de Chaulieu et du madrigal de M. de Sainte-Aulaire. Il a vécu cent ans, de 1657 à 1757, et déjà dans le XVIIe siècle il préparait la littérature qui allait venir : il sert ainsi de transition entre les deux siècles, et son talent ressemble à ces teintes variées du crépuscule qui ne sont plus le jour et ne sont pas encore la nuit, mais qui paraissent prendre le jour pour le mener, et tomber avec lui, par la diminution graduée, de la lumière, jusque dans la nuit, il nous montre donc comment la littérature du XVIIe siècle tombait, par d’insensibles degrés, dans la décrépitude, et, si l’on voulait me pardonner cette mythologique comparaison, je dirais qu’il joue le rôle du Mercure antique : il conduit les ombres du grand siècle ; ces élémens de corruption renfermés dans son sein, il les conduit dans le sombre empire du bel esprit et de la stérilité. Il est ainsi un des ancêtres de cette littérature, un des coryphées de la prose et de la poésie légères. Jamais je n’ai pu m’expliquer autrement cette étrange gloire dont il jouit de son vivant et dont Voltaire était si curieusement jaloux.

Les œuvres de Fontenelle sont parfaitement expliquées par son caractère. Égoïste et froid par prudence, facile et honnête par nature, il craignait toute inspiration de l’intelligence, comme il craignait tout sentiment de l’âme, par un soin excessif à éviter toute secousse violente. Il n’a jamais ri ni pleuré ; mais il souriait toujours par mesure d’utilité sociale et de tranquille voisinage, et ce sourire composé semble avoir laissé son empreinte sur chacun de ses écrits. On a oublié, et nous oublierons aussi, ses tragédies déplorables, ses comédies et opéras-comiques au-dessous de toute critique, ses poésies pastorales et ses Dialogues des Morts, où ses bergers sont de si fins courtisans et ses morts de si adroits joueurs de paume qui se jettent à la tête tout un recueil