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la profondeur de la rhétorique ; et sa sensibilité, transformée en galanterie, ne parvint qu’à l’ironie du respect, car ce siècle avait si peu de sentiment vrai et de foi, qu’il insultait sans le vouloir les femmes, à qui il prodiguait ses plus respectueuses admirations.

Avec, une telle éducation, le talent de Boufflers ne fut plus qu’une espèce d’habileté à tenir les mots dans un équilibre obscène, de telle sorte que jamais les mots ne devinssent brutaux, mais que jamais pourtant le sens libertin ne pût être un instant absent de la pensée du lecteur. C’était ainsi une espèce de lutte entre les termes honnêtes et les pensées dépravées, une danse de mots pudiquement lascifs, irréprochables et provoquans comme le déshabillé galant des héroïnes de Crébillon le fils. Dans ses contes, il ne s’élève jamais au-delà d’un crébillonnage amarivaudé, comme disait Mme de Créquy. Parfois il y veut être grave et moral ; mais toutes les vertus qu’il met en scène se transforment, quoi qu’il fasse, en un prêche de bas-bleus, et au milieu de ce conventicule le pauvre galantin se trouve empêché comme un apprenti sorcier qui a évoqué des fantômes inconnus. Il paraît croire que ce sont seulement des marionnettes un peu plus lourdes que les Iris et les Climène de sa poésie. Les fils qui faisaient mouvoir ces lestes poupées sont trop faibles pour remuer l’amour filial ou l’amour maternel ; l’auteur s’essouffle, se travaille et se démène comme le diable de la légende qui se fit ermite, mais finalement il reste insipide et lourd. C’était la punition de cette littérature de ne pouvoir exprimer sans ennui et de ne pouvoir comprendre, que comme une déclamation les grands et nobles sentiniens de l’âme. En résumé, Boufflers a été illustre, dans les bureaux d’esprit ; c’était un poète charmant, au dire de ses éditeurs contemporains. Pour moi, quand je vois ce qu’il devait être et ce qu’il est devenu, toujours je pense à ces jeunes et élégantes natures que la débauche précoce a énervées ; il ne leur reste des plus beaux dons de l’intelligence qu’un certain beau partage, la vivacité stérile, et fiévreuse que donnent les premières orgies, la haine et l’impossibilité de la pensée grave que donnent les dernières, et c’est pour l’indignation, non pour l’admiration, que doivent être rappelés de tels exemples.

Du reste, dans son frivole, murmure, qui ne réveillait jamais l’ombre, des grandes pensées, dans son indulgence filiale pour la médiocrité et la corruption, la poésie légère avait une vertu de prosélytisme. Peut-être sera-t-elle encore l’enchanteresse des imaginations débiles de l’avenir, mais rien dans le XVIIIe siècle, ne devait lui échapper, et le théâtre subit son influence. Une des victimes de cette influence a aussi trouvé place dans la nouvelle Bibliothèque, et Favart y trône à côté de Boufflers. Marivaux, Boissy, Dorat, c’est Joseph Chénier lui-même qui le reconnaît, n’apportèrent sur la scène comique que des madrigaux en dialogue, la recherche dans les pensées, l’affectation dans les termes, le théâtre devenait à son tour un boudoir ; il ne représentait que la société officielle, et l’activité comique, concentrée dans un horizon étroit, se bornait à cacher des sentimens factices sous les vieilles ruses et les nouvelles grimaces ; Ce n’était pas le cœur humain qui tenait la scène, c’était une traduction plate et infidèle d’une sorte de comédie qui se passant dans un monde à part, n’avait ni vie réelle, ni instruction souveraine. Le théâtre au XVIIIe siècle n’est donc, à vrai dire, que la comédie,