Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devait du reste subir fatalement la même fortune que cette royauté, plus malheureuse en cela pourtant qu’elle devait périr là où la royauté ne serait qu’ébranlée. Ainsi ce n’était pas précisément la royauté, comme on l’a dit souvent, que représentait et copiait cette littérature de la renaissance, c’était la société officielle constituée autour des splendeurs de la royauté, et qu’elle, littérature de convention et rhétorique aristocratique, représentait exclusivement. Elle était, au XVIIIe siècle surtout, une sorte de représentation théâtrale de cette société, elle en était comme le refrain insipide et obscène, et elle devait, après les mêmes excès, la même démoralisation, fausse et fardée comme elle, mourir comme elle, mais sans l’honneur de la persécution et la glorification du martyre. Jusqu’à la régence, cette société s’était conservée grande et glorieuse : formée des plus illustres représentant des vieilles races guerrières, intelligente, patriotique et fière, dans les ambassades et les négociations elle avait été le plus noble et le plus utile instrument de la grande politique de la royauté française ; mais elle avait la destinée de tout ce qui tirait son origine du moyen âge, elle ne pouvait être grande que par la foi, et vivre qu’autant que la foi. L’impiété du XVIIIe siècle devait la faire succomber à toutes les tentations de la puissance et du luxe, énerver la noblesse de ses instincts, découronner toutes ses facultés, changer la grandeur en ostentation, la dignité en manière, l’activité en fièvre, l’intelligence en esprit, et transformer, en un mot, les grands seigneurs en une miniature de leurs ancêtres.

Ces ! à peu près aussi à partir de cette époque de la régence que la littérature, suivant une marche analogue, tomba dans la décrépitude et l’épuisement. Il était facile du reste de prévoir, dès le XVIe siècle, le sort réservé à cette littérature qui faisait alors dans le monde moderne une si glorieuse entrée. Le principe d’autorité qui était en elle la poussait à se laisser complètement absorber par les hautes classes de la société, et ce petit cercle où elle s’enfermait lui présageait une lassitude prochaine. La préoccupation exagérée des modèles de l’antiquité, la poussant vers la science, la correction, le convenu, au détriment de l’observation et de l’invention, la menait à se rendre de plus en plus inaccessible à la grande partie de la nation, inaccessible aux inspirations du génie national, les seules vivifiantes et permanentes. Elle laissait ainsi cette masse de la nation sans grande participation au progrès intellectuel, et devenue par là fausse et rétrécie, elle n’était plus qu’une rhétorique privilégiée. Elle pouvait produire des modèles, créer et laisser des monumens, mais elle ne pouvait ni vivre ni accompagner la vie de tous. De plus l’intronisation extravagante de l’allégorie mythologique chez un peuple chrétien, l’introduction de vieilles formules personnifiées, de débris d’une autre civilisation chez un peuple aussi inventeur que le peuple français, ces essais tyranniques de correction empruntée à un autre art et amenée au milieu d’une nation aussi vive, aussi leste, aussi railleuse, tout cela augmentait les chances d’une triste agonie pour cette rhétorique et cette littérature. Pourtant cette littérature de la renaissance avait été grande, et cette rhétorique avait produit des merveilles. Elle avait passé d’abord, au XVIe siècle, par toutes les joies et les gloires de la jeunesse ; Ronsard l’avait enivrée d’une musique, d’une harmonie que le génie français n’avait jamais entendues et,