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les hommes de la révolution américaine, comme Arnold fut le seul traître. Pendant les négociations avec l’Espagne au sujet de la navigation du Mississipi, cette puissance tâcha de détacher quelques états de l’intérêt commun, en leur offrant des avantages qu’elle refusait au congrès. Aaron Burr se jeta dans ces intrigues. On ne sait pas bien jusqu’où elles allèrent et jusqu’à quel point lui et ceux qui l’entouraient se laissèrent entraîner à la perspective d’un pouvoir indépendant dans l’ouest ou même d’une couronne. Dans tous les cas, cette ambition fut punie comme elle le méritait : le Catilina manqué, acquitté par ses juges, mais entièrement déconsidéré, traîna dans le mépris, durant une vie très longue, le souvenir de ses rêves d’usurpation. Après avoir erré en Europe, où M. de Talleyrand, qui pendant son séjour en Amérique avait apprécié la supériorité d’Hamilton, refusa de le recevoir, Aaron Burr revint à New-York, pour y être un petit procureur hargneux et détesté. Il fut condamné, à quatre-vingts ans, dans un procès de mœurs, et porta toute sa vie le malheur d’avoir tué Hamilton.

J’ai parcouru avec M. Kent la ville de New-York, occupée en ce moment à faire ses élections. Les élections des États-Unis ont cette année une importance particulière. On y cherche un indice de la tendance qui prévaudra l’an prochain dans l’élection du président. On croit généralement que le triomphe sera pour les démocrates. Les murs sont couverts des listes de noms auxquelles se sont arrêtés les différens partis. J’ai lu aussi une proclamation du gouverneur qui promet 100 dollars de récompense à qui fera connaître un vote illégal. C’est toujours le même principe. La police de l’élection est remise aux mains de tous, et il y aura une bonne récompense pour celui des agens de cette police universelle qui fera le mieux son devoir.

Nous entrons dans plusieurs salles d’élection ; elles sont en général fort paisibles. Dans le quartier des Irlandais, on se donne quelques coups de poing à la porte. Il parait qu’il y a eu du tumulte dans une autre salle, que les policemen ont été appelés, et que même la boîte qui contenait les suffrages a disparu. À Baltimore, un électeur a reçu un coup de couteau, ce sont des désordres réels ; mais, comme ils tiennent à des causes particulières et non à l’excitation générale d’un parti, en les déplorant on n’en est pas effrayé. On sait de plus que, les élections terminées, toute agitation cessera. Souvent, pendant qu’elles durent, les démonstrations des partis sont menaçantes : on fait des processions, on porte des bannières, on crie, on se montre le poing ; dès que la voix de la majorité a parlé, tout le monde se tait et se soumet. En Amérique, il y a quelquefois du désordre le jour des élections, mais le lendemain jamais.

On ne peut quitter New-York sans visiter l’ensemble d’établissemens