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et la géologie y seront enseignées, surtout dans un sens pratique. Les fils des fermiers, comme me le disait M. Jonhson, apprendront à leurs pères à distinguer la nature et la valeur des terrains, et leurs pères les croiront.

Albany fut, comme New-York, fondé par les Hollandais ; son nom était Fort-Orange. À la fin du dernier siècle, quand M. de La Rochefoucauld-Liancourt vint dans ce pays, les maisons, dans une grande partie de la ville, avaient encore l’aspect hollandais, « le mur de front s’élevant par des espèces de marches en pyramides que terminait une cheminée historiée ou quelque figure en fer. » Aujourd’hui Albany a un caractère entièrement américain ; on n’y voit guère que des maisons de briques et des monumens à colonnes doriques ; les plus remarquables sont la banque et le Capitole. La principale rue monte vers le sommet de la ville, où sont situés ces deux monumens, et d’où l’on voit se dérouler le cours majestueux de l’Hudson.

C’est dans cette partie de l’état de New-York que se trouvent les seules grandes propriétés territoriales qui soient aux États-Unis. De riches familles hollandaises y avaient bâti des châteaux entourés de parcs et dont le maître s’appelait de patroon. Encore aujourd’hui on voit là des habitations de campagne d’un aspect seigneurial comme on n’en rencontre nulle part ailleurs aux États-Unis ; les terres appartenant à une de ces familles embrassaient tout un comté.

J’ai été ramené de la géologie et de l’agriculture à la politique générale par un entretien de plusieurs heures avec M. J.-G. Spencer, avocat et jurisconsulte enfuient qui a traduit et annulé l’ouvrage de M. de Tocqueville. J’ai eu le plaisir d’entendre exprimer par un homme si compétent le jugement que j’ai constamment entendu porter sur cet ouvrage par tous ceux qui m’en ont parlé, et tout le monde m’en a parlé. Il n’y a eu qu’une voix en Amérique aussi bien qu’en Europe sur la profondeur et la sagacité de ce livre, un de ceux qui honorent le plus le siècle où nous vivons. Cependant la démocratie en Amérique y est jugée et n’y est point flattée ; il y a même dans l’ouvrage une pensée fondamentale contre laquelle les Américains ont de la peine à ne pas regimber : c’est le danger que, dans les états purement démocratiques, la tyrannie sans contre-poids de la majorité peut faire courir à la liberté. Parmi tous ceux que j’ai interrogés sur ce point, un seul est convenu franchement que le danger existait ; les autres m’ont en général répondu ce que dit aussi M. Spencer dans une des notes qui accompagnent sa traduction, que le péril signalé par M. de Tocqueville est combattu par la mobilité de la majorité, qui, amenant tour à tour les différens partis aux affaires, ne permet ni à l’un d’eux, ni à l’opinion qu’il représente, d’établir une tyrannie durable. Ceci ne me parait pas une réponse suffisante à la pensée de M. de Tocqueville, car il en résulterait