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N’est-ce point là en effet une époque où l’esprit se reporta naturellement pour ressaisir dans une de ses phases les plus caractéristiques le développement littéraire contemporain ? Il y a même une sorte d’attrait particulier qui naît de l’abondance de la vie, de l’ardeur avec laquelle on se précipite alors dans toutes les voies de la science, de la philosophie, de la littérature, des études historiques et politiques. Il y a ce caractère qui se retrouve rarement, la nouveauté, l’enthousiasme la passion des écrivains et du public. Après les puissantes émotions de la guerre suscitées par l’empire, on se laissait aller aux émotions intellectuelles, au charme d’une poésie rajeunie à l’intérêt de reproductions historiques pleines de force, à l’admiration des littératures étrangères, qui pour la première fois faisaient sentir leur influence. Les élémens ne manquent pas assurément dans ces années de la restauration. Ce qui est difficile, c’est de savoir sous quelle forme peut être reproduit ce mouvement littéraire. Comme période politique, la réclamation est une époque complète en elle-même, qui a son commencement et sa fin, qui disparaît presque avec ses hommes. Il n’en est point tout à fait ainsi au point de vue littéraire. La littérature a ses personnages qui ont survécu et ont malheureusement changé plus d’une fois d’habit et de rôle. Si on les peint seulement tels qu’ils étaient il y a trente ans, quelle valeur peut avoir une étude de ce genre ? Si on embrasse l’ensemble de leur vie et de leurs œuvres, ce n’est plus alors une histoire de la restauration. Il y a là des difficultés que ne nous semble pas avoir surmontées très heureusement M. Nettement. Ce n’est point qu’il n’y ait de l’impartialité et du talent dans cette nouvelle histoire ; mais elle a un inconvénient assez grave, c’est qu’elle ne saurait toujours satisfaire ceux qui savent, en ne leur apprenant rien d’ailleurs, et qu’elle ne peut faire pénétrer ceux qui ne savent pas dans le mouvement réel de la littérature de la restauration. C’est une série d’amplifications plutôt qu’un tableau vivant et animé. Pour peindre des figures belles que de Courier, de Béranger, même avec une sévérité souvent juste à notre sens, il faut une souplesse qui ne semble guère dans le talent de l’auteur. M. Nettement aime les grandes lignes, les grandes routes : mais avec cela les aperçus risquent de devenir assez monotones. C’est ainsi que dans cette histoire bien des nuances nous semblent méconnues au point de produire souvent une assez singulière confusion. Nous ne parlons pas même d’une certaine phraséologie de parti qui se retrouve jusque dans l’impartialité méritoire de plus d’une page. L’Histoire de M. Nettement n’est pas sans valeur ; littérairement pourtant elle manque la première condition, celle de refléter une époque dans ce qu’elle a de vivant, de varié et de profondément caractéristique.

Au milieu des œuvres de tout genre qui paraissent encore aujourd’hui et forment ce qu’on peut appeler la littérature actuelle, ce qui manque le plus, sans nul doute, c’est l’originalité. Le roman, la poésie, ont tellement parcouru le cercle de toutes les combinaisons que l’imagination peut enfanter, qu’il n’est rien de plus rare que la nouveauté. Dans ce monde idéal, on ne voyage plus que pour retrouver des choses cent fois connues. Expression des sentimens et des passions de l’âme humaine, drames de cœur, peintures des beautés naturelles, tout cela prend une teinte uniforme, si bien qu’il y a comme un intérêt nouveau dans les vrais et réels voyages qui vous conduisent