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de chaque instant contre tous les obstacles, contre des ennemis parfois invisibles ; c’est cette rude vie où l’on meurt souvent obscurément et presque sans gloire, et où les courages se trompent d’une manière particulière dans toutes les milles épreuves. Il y a eu des momens où tous les regards se tournaient, vers cette élite de soldats, et où on connaissait presque tous leurs noms ; il en est d’autres où l’attention est ailleurs : l’œuvre de la conquête ne se poursuit pas moins par les mêmes efforts et avec les mêmes succès. Un jour c’est Zaatcha, puis Laghouat, maintenant ce sont les combats de la grande Kabylie. Du reste, les résultats politiques de cette dernière expédition semblent devoir répondre à ce qu’on en attendait, en ce sens du moins que l’ascendant de nos armes amène la soumission de ces populations et leur fait sentir notre influence. La fin de l’expédition pourra mieux dire, ce qu’aura produit réellement à ce point de vue le passage de nos soldats dans la Kabylie.

De tous les genres d’activité qui peuvent rester en honneur dans notre pays, l’activité militaire, est celle peut-être qui est le moins sujette aux éclipses et aux défaillances ; elle s’entretient d’elle-même, elle suivit à tout parce qu’elle fait en quelque sorte partie du caractère national, et depuis plus de vingt ans cette Afrique dont nous parlons est comme le théâtre naturel où elle s’exerce, poursuivant un but unique, invariable au milieu des bouleversemens qui changent les destinées de la France. L’activité politique, par sa nature même, est plus disposée à subir parfois d’étranges désastres : tantôt elle s’exalte jusqu’au paroxysme, tantôt elle s’épuise et s’affaisse ; un jour elle s’étend à tout, le lendemain son domaine est singulièrement circonscrit ; elle fait des révolutions pour s’alimenter, et elle les expie en ne trouvant plus même le plus simple aliment. L’activité intellectuelle participe, sous plus d’un rapport, de l’activité politique : elle passe souvent par les mêmes phases ; elle projette partout sa lumière, ou ne ressemble plus parfois qu’à une flamme diminuée ; elle a les mêmes momens d’invincible puissance et d’affaissement singulier. N’y a-t-il pas d’ailleurs comme une intime et mystérieuse solidarité entre ce qui fait la vie politique et ce qui fait la vie intellectuelle ? L’esprit littéraire a cependant son indépendance et son mouvement propre qui ne tient point essentiellement à un régime politique : il survit ou revit sans cesse et recommence son œuvre. Il y a même des momens, après les périodes agitées et traversées par toutes les révolutions, où il semble que l’intelligence voie s’ouvrir devant elle, une nouvelle carrière, parce qu’il y a dans toutes les âmes un besoin de mettre un peu d’ordre dans les idées, dans les croyances, dans les jugemens. Soixante ans d’histoire sont derrière nous : tous les souffles ont régné dans l’atmosphère ; les tendances les plus opposées se sont succédé, des efforts de tout genre ont été lentes, des influences diverses ont dominé, plusieurs générations d’hommes ont disparu. Trois ou quatre régimes politiques ont eu le temps de se croire immortels. Que faut-il penser des hommes et des choses ? à quoi faut-il s’arrêter dans ses jugemens ? quel est le caractère de chacune de ces périodes où notre pays a vécu ?

La restauration est une de ces périodes, et c’est une de celles qui ont été le plus étudiées depuis quelque temps ; on en a retracé l’histoire à des points de vue divers, on en a fouillé les secrets et dévoilé le mouvement. M. Nettement ajoute aujourd’hui à ces travaux une Histoire littéraire de la restauration.