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leurs chefs-d’œuvre[1]. Un peu plus tard paraît Ovide ; c’est déjà une bien prompte décadence, et, Ovide une fois exilé, silence absolu. Le génie littéraire n’a-t-il pas suivi les mêmes phases sous le règne de Louis XIV ? Il serait fort ridicule de comparer Racine et Fénelon à Ovide ; mais avant eux on remarque également une génération d’écrivains d’une trempe plus vigoureuse ; après eux, la littérature s’énerve et dépérit. En outre, comme le règne d’Auguste, celui de Louis XIV, loin de commencer une nouvelle époque littéraire, continue d’abord une glorieuse période qu’il clôt fort tristement. Depuis le milieu du XVIe siècle, quelle succession ininterrompue de grands écrivains ? Leur caractère est aussi original que leur intelligence et se reflète dans leurs écrits. Ce sont des penseurs passionnés, ce sont des hommes ; plus tard, on aura des gens de lettres et des académiciens. C’est que, bien qu’on en puisse dire, la pensée, a besoin, pour développer toute sa puissance, d’être soutenue par les préoccupations politiques ou religieuses, d’être animée par la passion. Les grandes émotions qui bouleversent le monde, les désastres même qui le désolent, impriment à l’intelligence humaine de salutaires secousses. Le XVIe siècle, ce siècle si malheureux, est celui qui a jeté dans le monde toutes les idées fécondes sur lesquelles nous avons vécu depuis. Dans cet enfantement laborieux et sanglant de la société moderne, que d’œuvres puissantes, éternelle méditation des âges suivans ! Les écrivains ont agi, ont souffert ; ils ont vu les grandes catastrophes, ils ont connu les passions qui vivifient l’intelligence et l’expérience qui l’éclaire. Chose bizarre, ce siècle, qui paraît le plus érudit de notre littérature, en est le plus original : l’étude de l’antiquité, à laquelle il s’est voué, n’est pour lui que le commentaire éloquent des événemens contemporains. La langue est encore imparfaite, nous dit-on : il semble pourtant que Rabelais, Calvin, Montaigne, La Boétie, Montluc, Régnier, d’Aubigné, ont bien trouvé la forme qui convenait à leurs pensées, et qu’elle a conservé l’inimitable empreinte des idées qui les agitaient. Que de langages divers, tour à tour énergiques ou charmans, tous pittoresques et savoureux ! Cette fermentation est entretenue au commencement du XVIIe siècle par les querelles politiques et par le grand mouvement catholique qui donnera à l’église, avec l’Oratoire, Port-Royal et la Trappe, des hommes d’une antique austérité. Bientôt, sous Louis XIV, tout se calmera et se régularisera ; plus de variété ; tout le monde parlera le même langage, un langage convenu. La société y a gagné peut-être, ce n’est pas ici le lieu de discuter ce point ; mais, quand la pensée se calme, elle est bien près de s’endormir : elle ne se réveillera en effet que dans le

  1. On peut y ajouter Tite-Live, resté pompéien sous Auguste, qui le lui reprochait en riant.