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de ce long règne, ce sont Molière, Bossuet, La Fontaine, Boileau, Racine. Voilà le personnel illustre qu’il trouve en montant sur le trône. Par quoi le remplace-t-il ? Il n’y a peut-être pas un seul exemple, dans notre littérature, d’une stérilité aussi déplorable que celle que présentent les vingt dernières années du grand roi. En prose, Fontenelle ; en poésie, Jean-Baptiste Rousseau.

Que ceux qui, en dépit des dates, attribuent à l’influence de Louis XIV l’éclat littéraire des premières années de son règne, se piquent au moins d’être conséquens. Qu’on l’admire pour avoir recueilli cette moisson glorieuse qu’il n’a pas semée, soit ; mais qu’on daigne alors nous expliquer pourquoi à cette fécondité puissante succède une si surprenante stérilité. S’il eût été pour quelque chose dans l’enfantement des talens contemporains, c’était, ce semble, pendant la seconde moitié de son règne que devaient paraître ces génies éclos sous son aile. Nés de son temps, formés sous ses yeux, on pourrait, avec quelque vraisemblance, lui en faire honneur. Ce sont, dit-on, les poètes qui ont le plus besoin d’un puissant patronage, ce sont les Augustes qui font les Virgiles, et voilà qu’à Corneille, à La Fontaine, à Molière, à Racine, succède, sous l’influence du nouvel Auguste, qui ? Jean-Baptiste Rousseau !

En outre, si l’on doit croire, comme nous le pensons, que les génies supérieurs ne relèvent que d’eux-mêmes, qu’ils se forment seuls et échappent à ces prétendues influences dont on fait tant de bruit, on conçoit que les talens secondaires, plus souples et plus dociles, puissent subir plus aisément l’action du pouvoir. Eh bien ! à ce nouveau point de vue, comparez encore les deux époques : au-dessous de Corneille, vous trouvez, parmi ses contemporains, des poètes qui ont souvent un goût équivoque, mais où l’on sent encore une véritable sève ou tout au moins beaucoup d’esprit : Rotrou, Racan, Scarron, Sarrazin, Voiture. À la fin du règne, immédiatement au-dessous de Jean-Baptiste Rousseau, commence la platitude absolue : vous avez Campistron.

On comprend que Boileau, vieux et chagrin, voyant cette décadence, s’écriât : « En vérité, les Pradons, dont nous nous sommes tant moqués, étaient des aigles auprès de ces gens-là. »

Il faut être juste cependant : à cette époque où, sous Mme de Maintenon, la cour voyait succéder la dévotion et la tristesse aux fantaisies brillantes d’autrefois, où Louis XIV, frappé dans ses affections les plus chères, après avoir vu mourir autour de lui ses fils et ses petits-fils, restait presque seul de sa famille dans son palais morne et silencieux, il y a encore un coin de la littérature où toute la vie intellectuelle du temps semble s’être réfugiée : c’est la comédie. Étrange contraste avec la situation de la cour ! jamais la comédie n’a été d’une